Entretien avec Guy Ducos.

Les 10 décembre 1999 et 5 janvier 2000 à Bordeaux

Mémoire de Stéphanie Vignaud.

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de la frontière
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françaises
Sachsenhausen Marche de
la mort.
Libération.


(Vue aérienne réalisée par les Alliés)

La fonderie est ici: voilà le bâtiment en longueur. Ici, au bout, on a vu trois points, dont deux points blancs et un autre qui n'est pas blanc. Ils sont blancs parce qu'il y a de la neige dessus. Tous les blancs ici, c'est de la neige. Au mois d'avril, le 10 avril donc, il y avait encore de la neige qui subsistait. Cela n'avait pas dégelé complètement. C'est un pays très continental et c'est froid. On supporte peut être mieux le froid dans un pays continental que chez nous parce que c'est un froid sec. Mais enfin, c'est quand même du froid. Et là, voilà l'entrée de la fonderie, le blockaus devait être ici et les tuyaux devaient être là. C'est ce qu'on aperçoit ici [il me montre un point sur l'image satellitale] parce que là, au moment de la photo, ils y étaient ici. Ca devait être là parce que j'ai dû aller vers le blockaus qui était complet avec les détenus qui étaient presque dehors. Là, c'était le bâtiment S.S. et ils avaient des bunkers S.S. ils avaient des protections. ils ont subi comme les autres. il y avait des morceaux de bras S.S. qui traînaient dans les rues... enfin dans les allées, avec le grade, des trucs comme ça. J'en ai rencontré. J'ai même rencontré un S.S. qui me dit: " Cherchez les vôtres. Moi, je cherche les miens. " Je n'ai pas pu le traduire tout de suite. Enfin, à cette époque là, j'étais un peu familiarisé. Je savais ce qu'on me disait. C'est ça ce qu'il me disait finalement: " Cherchez les vôtres. Je cherche les miens! " C'est une réflexion S.S. Cela vaut ce que ça vaut! Auparavant, quand il faisait crever des types, il ne cherchait pas les siens! Et nous, on allait déjà chercher les nôtres! Mais... Je ne sais si je vous l'ai dit déjà: sur cette photo qui a été faite au mois de janvier vers 13 heures, vers 12 heures, ça c'était la colonne. On pouvait se trouver dedans, en déplacement parce qu'on venait sans doute prendre notre pitance, notre maigre pitance, à midi ou une heure, pour revenir ensuite à la fonderie. Il y en avait la moitié qui y allait. Alors, j'étais peut être dans ce tas. Cela me fait rêver quand je vois cela! Alors, voilà Klinker, voilà le bombardement. Moi, plus de veste, plus de... plus rien. Tout ce que je pouvais avoir comme petites bricoles, j'avais quelques lettres de ma mère que j'avais gardées dans un placard de la fonderie, tout ça a été brûlé, tout brûlé. Alors en chemises, on a été rassemblé et on est allé au grand camp où on a été entassé dans des blocks là avec ensuite la possibilité de revenir sur le lieu du Kommando Klinker parce qu'on était tout près. Mais on a loupé la première journée parce qu'on ne s'est pas trouvé au bon endroit alors qu'il y a eu un problème... Je ne sais pas lequel d'entre nous... parce qu'il y avait Chataigné, il y en avait d'autres... on avait fait un petit groupe de Français où il y avait Pasquini, il y avait 8irot... On avait trouvé des patates, des pommes de terre près des cuisines du camp. On a vadrouillé là, après. Il y en a qui sont allés à la boulangerie et qui se servaient, qui ont pris du pain. Et avec des civils qui prenaient du pain aussi, ils se les passaient les civils et les détenus. Incroyable! Les S.S. n'étant pas là, quand les S.S. sont arrivés, cela a changé. Ca a tarabusté! Et puis, certains ont " bidouillé " du côté des cuisines du camp et on avait une caisse de pommes de terre. Quand on a du se quitter le soir... ce n'était peut être pas le soir, c'était le lendemain. A quel moment c'est arrivé cela? On dit... quand les gens avaient trouvé quelque chose qu'ils ne pouvaient pas ramener au grand camp, ils enterraient ou ils le mettaient n'importe où. Moi, je propose: " Il y a un truc qui est beaucoup mieux. On va le poser en haut, sur les rails du pont roulant, un coin que je connais bien, qu'on ne voit pas depuis le sol et on met la caisse là, on la retrouvera. " " Ah bon, d'accord. " Ils m'ont écouté, ils l'ont fait, on nous l'a piquée! Piquée parce qu'il y a un jour, on n'est pas revenu. Ce n'est peut être pas le lendemain, ni le surlendemain. C'est peut être le lendemain qu'on a pris les pommes de terre aussi, qu'on les a mises... C'est le surlendemain qu'on n'a pas pris le bon chemin, qu'on est allé ramasser du sable - je ne sais pas où, dans une autre direction - on a passé la journée ailleurs. Et c'est incroyable: tout était détruit mais le fameux Edmund avait commencé par faire nettoyer tous les hauts de murs -il n'y avait plus de toits là - tous les hauts de murs, nettoyer, faire tomber les pierres qui étaient à moitié chancelantes, pour que ce soit net en haut. Et il avait l'intention de faire repartir la fonderie avec les fours qui restaient parce que je crois qu'il n'y en avait qu'un qui était touché, je ne sais pas s'il n'y a pas eu une bombe qui est tombée derrière d'ailleurs. Moi, on m'avait dit ça mais je ne suis pas allé voir du côté des fours... je ne pense pas. Certains me l'ont certifié, d'autres m'ont dit que ce n'était pas vrai. Bon. Il semblerait qu'une bombe soit tombée dans un four et c'est ça qui a fait tout brûler dans le coin là-bas et qui a brûlé pas mal de gens qui travaillaient du côté des fours et qui fabriquaient des moules pas loin des fours, sur les machines qui étaient proches des fours. Ils voulaient nettoyer le haut pour refaire marcher la fonderie et refaire des grenades, à ciel ouvert. C'est incroyable! C'est dingue! Ils n'acceptaient pas la défaite alors que les Soviétiques étaient sur le bord de l'Oder, allaient franchir l'Oder d'ailleurs. Ca allait se faire. Et de l'autre côté, le front était enfoncé par les Américains et les Anglais. On était au grand camp du 10 avril au 21 avril jour de l'exode, qui a été la " marche de la mort ".




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