Entretien avec Guy Ducos.

Les 10 décembre 1999 et 5 janvier 2000 à Bordeaux

Mémoire de Stéphanie Vignaud.

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de la frontière
L'arrestation Prisons
françaises
Sachsenhausen Marche de
la mort.
Libération.


. Alors, armés: " niet "; boussole: " oui " mais on avait ce qu'il fallait; on avait aussi porté ce au'il fallait pour aller dans la montagne et troubler l'odorat des chiens avec du poivre, on avait un sac dans lequel on avait amoncelé tout cela, du chocolat, des cigarettes pour graisser la patte de certains, du chocolat pour nous et puis un peu d'eau de vie pour nous remonter éventuellement, du sucre, enfin des petits trucs, des victuailles qui étaient dans un sac collectif. Et puis, on a dit : " On va partir. On va essayer de prendre le train. " Il nous avait dit d'ailleurs : c'est un petit train avec des wagons séparés, il n'y a pas de soufflets mais il y a la Feldgendarmerie, les gendarmes de campagne allemands qui grimpent dans un wagon pour vérifier les identités et comme il y a beaucoup de petits patelins et de petites gares, il s'arrête tous les 500 mètres ou tous les kilomètres et à chaque gare, ils descendent du wagon et vont dans le suivant. Et puis, ils font cela en remontant après parce qu'il a des gens qui montent entre temps. Voilà, il y a des " frisés " qui ne font que çà. Alors, sachant cela, mais on faisait un peu de tachycardie quand on se trouvait là parce qu'il ne fallait pas louper son coup, parce qu'on est descendu à contre-voie etc... pour aller dans le wagon d'où les Allemands venaient de descendre pour entrer dans le notre. Vous voyez un peu le " trapèze " sans qu'ils s'aperçoivent de ce manège. Et puis, on n'était pas que deux parce que les trois autres s'étaient joints à nous. On devenait cinq et cinq, c'est plus difficile à passer ! Mais enfin, on avait trouvé le moyen de se déguiser, on ne donnait pas l'impression de se trouver ensemble. Justement Orthez lui était en " bleu de chauffe " et avait une canne à pêche. J'étais moi le seul habillé avec un costume de ville, j'avais une gabardine bleue marine, je me rappelle -ce n'était pas bien choisi ça parce que ça ressemblait à une gabardine d'aviateur. Et puis... Enfin bref, on avait chacun une tenue différente et bon, on a embarqué dans ce petit " teuf-teuf " et on a fait la manœuvre qu'on a réussie. Et on a dit: " Mais on ne va pas... ". Ce train allait jusqu'à Rias: à Rias il y a une gare, il y a un petit... - on l'a su après - il y a un restaurant, une auberge, une place, la place de Rias et c' est encore comme ça maintenant - enfin, cela fait peut être 20 ans que je n'y suis pas revenu - et " on ne va pas aller s'enferrer dans la gare parce qu'à la gare, on est sûr de passer un contrôle en sortant. " Alors dès qu'on a senti que Rias approchait, on a sauté du wagon et on s'est caché derrière un rocher. Il y avait encore des rochers de cette hauteur (hauteur approximative environ 1m50) et un peu de végétation, il y avait la route en bas. D'ailleurs la route, celui qui avait la canne à pêche et le " bleu de chauffe " est parti sur la route avec sa canne à pêche et on le voyait. Suivant la façon dont il tenait la canne à pêche, cela voulait dire: la route est libre, il n'y a personne ou il y a quelqu'un. Et quand il n'y avait personne, à ce moment là, nous, on allait de rocher en rocher tout ça pour atteindre Rias parce qu'on avait débarqué deux ou trois kilomètres avant. Je me rappelle de cet épisode avec lui sur la route, Orthez, avec sa canne à pêche. On le " zyeutait ". On arrive à Rias et alors là, on voit le spectacle, il y avait des Allemands un peu partout et notamment des Allemands qui encadraient des prisonniers de guerre français qui étaient tous des noirs - c' était des Sénégalais - et qui les faisaient " marner " pour embarquer des tas de graviers ou je ne sais quoi et qui les " tarabustaient ". Vraiment, cela nous a choqué parce qu'ils ont brutalisé les gens de couleur qui étaient dans l'armée française, déjà là, en France, alors qu'est-ce que cela devait être dans les camps de prisonniers? Cela n'a pas dû être drôle pour eux. Et alors que faire là? On s'est dit: " On ne sait pas aller plus loin. Que va-t-on faire? " Alors on a dit: on va dans l'auberge qui était là et puis on va se séparer, on ne va pas rester ensemble. On a fait deux groupes ou trois - non, on ne pouvait pas, il y en aurait eu un tout seul - on a fait deux groupes et puis on a observé. On a vu donc ce qui se passait sur la place: on a vu des gens qui sortaient du train, qui étaient sortis du train avec leurs bagages et tout ça et qui venaient de passer au contrôle, enfin il y avait des gens de la campagne avec leurs bagages, leurs sacs, leurs paniers. Et puis mon copain Moulinat me dit, en voyant un autobus là sur la place : " Ah, ce bus doit peut-être aller plus loin parce que sinon qu'est-ce qu'il " foutrait " là? Ce n'est pas pour revenir vers l'intérieur puisqu'il y a le train - et le train, c'est le terminus du train, il n'allait pas plus loin - alors c'est donc pour continuer ". Une fille le conduisait, en fait c'était deux sœurs, deux jumelles: une qui conduisait et l'autre qui faisait payer les billets. Alors il me dit: " Je vais voir ça! " Il est assez " gonflé " Moulinat. Il " baratine ". La fille a compris tout de suite. Elle a dit: " Oui. Oui. Oui. J'ai compris. Ecoutez, ne vous inquiétez pas. Quand je vous ferai signe, mais ne venez pas tous ensemble, vous venez. Maintenant, cela ne peut pas se faire parce qu'il n'y a pas assez de colis, vous vous mettrez sur la banquette arrière. En vous serrant bien, il y aura bien cinq places sur la banquette arrière et devant vous, vous aurez une rangée de cageots, il y aura de tout: il y aura des haricots verts, il y aura des poireaux, il y aura de la volaille et vous vous cachez là, derrière. " Et c'est ce qu'on a fait. Elle est partie et a été arrêtée sur la route par une patrouille allemande - je me rappelle, ils avaient des side-cars, les Allemands de cette patrouille - mais ils chahutaient avec elles, c'était deux brune très gentilles. Les Allemands étaient très très coopératifs, ils ne s'intéressaient pas trop à ce qu'il y avait dans le car, ils regardaient plutôt les deux filles qui leur ont dit: " Mais non. Mais non. On connaît tout le monde. C'est toujours les mêmes. " Là aussi, on a eu quand même un peu d'émotion et là, elles nous ont amenés à leur terminus à elles qui était chez elles, chez leur père, à Sahore. C'est un trou juste avant Py. Mais pour aller à Py, il y a quand même encore quelques kilomètres. Le père était un type " mal embouché ", ses filles ne lui ressemblaient pas du tout, autant elles étaient gentilles, lui était bourru, etc. ..jamais content. ..Et les filles disent: " Mais papa, tu pourrais les conduire toi avec ton gazogène, tu as des sacs à porter là bas à Py, des sacs de plâtre ou de ciment. Tu peux les amener. " Il dit: " Oh, le gazogène, mais il faut le charger le gazogène aujourd'hui! Non, non, à cette heure-ci. " Nous, on lui dit: " Mais on va vous le charger le gazogène. Dites-nous comment il faut faire. " Et puis, on lui a filé des cigarettes, il était fumeur. Alors là, ça l'a complètement décidé. On lui a donné quelques paquets de tabac, de cigarettes. Et le gars a marché. Alors là, on s'est filé derrière, sur le plateau il y avait des sacs qu'on avait embarqués d'ailleurs nous-mêmes, on était au milieu des sacs. Il fallait se méfier parce qu'on pouvait être repéré par en haut, parce qu'il n'y avait pas de toit, c'était un plateau. Mais enfin, on était camouflé tant bien que mal. Et puis, " teuf, teuf, teuf ", le gazogène ça n'allait pas vite et puis on va jusqu'à Py. On n'a pas été embêté, il n'y a pas eu de rencontres avec des Allemands. Mais, il y a eu un gars qui faisait de l’auto-stop et que connaissait le père, le chauffeur qui conduisait. C'était un Espagnol qui était dans le coin et qui allait à Py faire quelques provisions avant d'aller travailler parce qu'il travaillait de nuit dans une usine... de cimenterie je crois où ils travaillaient jour et nuit. Et ce gars là, il n'a pu que nous voir. Mais, c'était un Espagnol, un républicain espagnol, qui était passé en France, qui faisait souvent le passage des montagnes parce qu'il avait sa famille là-bas alors que lui travaillait en France. On a vite fait connaissance, tant bien que mal, il parlait très mal le français. Bon c'était un républicain espagnol finalement, c'était un gars tout à fait contre les Allemands lui aussi. C'était un hasard.

Moi, je pense que le père le savait quand il l'avait embarqué. Il ne pouvait pas mettre dans son camion quelqu'un qui allait nous faire des histoires à nous et à lui aussi. Et puis ce gars nous a dit: " Moi, si vous voulez, je peux vous accompagner un peu mais il faut que je sois rentré à..." je ne sais pas quelle heure à son usine. " Il faut que j'y sois, autrement ça, j'aurais des histoires. Il faut que j'y sois absolument. " On a donc débarqué à Py. On est vite rentré dans l'auberge parce que lui, il voulait boire un coup et puis nous, on voulait refaire le point aussi. On a dit : " Bon, on va consommer. " La patronne - que j'ai revue après la pauvre femme, un fils handicapé, elle aurait mérité une médaille cette femme parce qu'elle a pris des risques énormes - elle a compris ce qu'on faisait, qu'on allait passer, elle nous dit: " Mais, cachez-vous vite! Il y a des patrouilles qui arrivent. " Alors, elle nous a caché dans sa maison, derrière, dans une arrière boutique pendant que les Allemands sont venus consommer. Ils sont repartis et alors nous, on s'est restauré un peu parce qu'on n'avait pas " cassé la croûte " depuis un moment. On s'est restauré avec l'Espagnol avec nous, des confits qu'on avait amenés. Et puis, on a pris la montagne avec ce petit Espagnol, un type qui était beaucoup plus âgé que nous et qui grimpait. .. mais alors qui grimpait avec une aisance, c'est incroyable! Pourtant, on était jeune. Il était tout le temps devant nous, il se retournait, il attendait qu'on arrive - on tirait des langues comme ça - habitué à la montagne et il mettait le pied où il fallait et tout. Et puis, il n'était pas gras, il était assez squelettique même: il avait ce type espagnol, un peu desséché. Et à tel point, c'est qu'il râlait parce qu'il disait: " Oh! Mais c'est que moi, il va falloir que je revienne! " Il devait revenir lui. Et puis, il a pris des sacs, il a pris le sac des affaires pour que ça aille plus vite parce qu'on tirait la langue en portant les affaires qu'on avait. Il nous a amené, pratiquement jusqu'à la nuit tombante et il nous dit: " Maintenant, il faut que je retourne. " Enfin bon, cela paraît évident. Et on était... si vous voulez, il y avait une sorte de vallée, le mont Canigou n'était pas très loin, assez proche, l'Espagne était par là au sud et on était sur ce flan. Quand on s'est arrêté, il nous dit: " Vous allez passer la nuit là dans un trou, dans une grotte. Ne faites pas de feu parce que vous allez vous faire repérer. " On " caillait " d'ailleurs toute la nuit. On a mis tout ce qu'on avait sur nous, on s'est mis les uns sur les autres, il a fait froid là haut dans la montagne, il a fait froid. Et il nous dit: " Vous partez de bonne heure demain matin, dès le lever du jour parce que vous allez devoir passer un col qui est dans la neige et il faut passer tant que la neige est gelée; autrement vous allez vous enfoncer, vous serez dans la neige jusque là, vous ne pourrez pas... Alors, elle est gelée, vous ne vous enfoncerez pas trop, ça ira mieux. " Bon, et alors il nous dit: " Il y a une montagne, deux montagnes, trois. A la troisième, vous allez avancer et à la troisième montagne, vous traversez, au troisième mont. " On a dit: " O.K. Merci. " On a laissé une pièce, on lui a laissé pas mal d'argent d'ailleurs, tout l'argent français qu'on avait - on n'en avait plus que faire de l'argent français. Et le lendemain... on a passé une nuit exécrable évidemment et le lendemain matin très tôt, on est parti. Mais, ce qui s'est passé c'est que quand on a avancé sur le flan, entre la deuxième et la troisième montagne qu'il nous avait montrée, est apparue une autre montagne cachée par la deuxième. Et quand on s'est mis là en face, gros dilemme. On s'est dit: " Est-ce qu'il nous a dit de passer après la troisième que l'on voyait quand on était avec lui ou est-ce qu'il nous a dit: quand vous serez arrivé à tel endroit, vous passerez à la troisième montagne? " Cas dans lequel, il fallait compter cette montagne qui était derrière. C'est ce qu'on a fait. On l'a mis aux voix. Je le reconnais humblement, moi, j'étais de ceux là parce que j'ai imaginé qu'il connaissait très bien la montagne, qu'il savait que cette deuxième montagne allait apparaître, que ce sommet allait apparaître et qu'on allait donc devoir passer aussitôt après. Et on a passé un col trop tôt en fait. On a passé un col trop tôt, on ne le savait pas. On aurait dû continuer encore davantage, on tombait sur l'Espagne tout de suite. En passant là trop tôt, on prenait le risque de tomber dans le bout de l'autre vallée, c'est à dire pas encore en Espagne. Cette Espagne, il fallait la chercher plus loin. Mais enfin, pas très loin quand même. Tout ça, c'est dans un mouchoir mais un mouchoir assez chaotique. On a donc tenté le passage. Alors là quelque chose d'effrayant. Je ne voudrais pas me retrouver dans des conditions semblables, je ne m'en sortirais pas aujourd'hui. Je ne pourrais pas survivre parce que quand on est arrivé en haut de ce col, on a été pris par le vent violent qui arrivait en face de nous et avec de la neige: une tempête de neige. Toutes les 30 secondes, il fallait se secouer et enlever la neige qui s'entassait et qui vous alourdissait. De la neige qui s'entassait comme ça! Incroyable! Ce n'est pas quelques flocons. ! Des tas de neige et des kilos de neige qu'on avait sur nous et puis qu'on traînait au pied et tout ça! Moi qui avais des souliers bas, vous imaginez! Et avec ma gabardine, j'étais chouette! Et j'avais mon écharpe! On a essayé finalement... On ne voyait plus rien mais on savait qu'il fallait monter, qu'il fallait monter ! et puis ensuite, on descendait. On n'avait pas à bifurquer, on allait tout droit ~ autrement, on serait tombé dans une crevasse, qu'on n'aurait pas vu. Ca, on ne l’aurait pas vu. Mais d'ailleurs, ça n'a été que sur la partie supérieure du col. Dès qu'on est redescendu, le vent passait au-dessus, ça devenait meilleur et puis la tempête de neige a dû disparaître ou s'affaiblir. Ca allait mieux. Et on se trouve à ce moment là sur l'autre versant où là, il y avait une vision assez lointaine, avec peu de végétation, des gros cailloux c'est tout. Et alors, il fallait redescendre. On voyait, il fallait redescendre pour essayer de remonter plus loin. Il fallait aller tout droit. On savait de toute façon que l'Espagne était là en face. On ne pouvait pas se tromper. On est passé trop tôt, on avait d'avantage de chemin à faire mais on y allait quand même. On l'a su parce qu'il y en a un qui est passé. C'est toute une histoire ça, toute une aventure! On savait qu'on avait à descendre et à découvert ! On s'est dit: " Oh, on peut être repéré d'un peu partout. S'il y a des Allemands par là dans le coin, ils vont nous voir de très loin. Il faut donc faire très vite. On ne peut pas rester là à passer sur le chemin de chèvre! " Alors moi, j'avise une pente de neige qui était glacée, une descente comme ça qui tournait sur la droite avec des rochers en face mais enfin bon! Et puis ça durait! Ca allait loin! Ca allait assez loin. Et puis, par moment la pente était assez importante. Je prends un morceau de bois, une racine, je la casse et puis je la mets entre mes jambes. je m'assois et je descends. Et avec ça, avec le bois. je faisais frein et je leur disais: " Vous voyez. C'est simple au fond. on fait chacun pareil! On va arriver en bas tout de suite. Le temps de compter jusqu'à 10, on est en bas! Ah oui ! Très bien ! OK ! " Alors, chacun prend un morceau de bois et on descend. Et à un moment donné, j'entends un juron derrière moi. C'était mon copain Moulinat justement qui, avec les doigts gelés et puis une racine mal choisie et pourrie qui s'était cassée dans les doigts, la racine lui a échappé, il n'avait plus rien pour freiner ! Il est passé devant nous à toute vitesse et puis il est allé rebondir sur un rocher en bas, dans le virage en bas. Il s'ouvre le poignet, il saignait. Il était à deux doigts de tourner de l’œil et etc... Bon. on lui donne un peu d'eau de vie et on a dit: " Bon. Il faudrait se reposer un peu! " Alors se reposer un peu, qu'est-ce qu'on peut faire? En regardant bien, on aperçoit plus loin, on aperçoit une... - comme on en avait vu pas mal d'ailleurs - des espèces d'abri pour les bergers avec comme un toit de chaume et puis des pierres autour, un truc rudimentaire mais qui était moins rudimentaire que ce qu'on avait vu avant, il est vrai. Et alors, on se dirige vers cette cabane

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