Entretien avec Guy Ducos.

Les 10 décembre 1999 et 5 janvier 2000 à Bordeaux

Mémoire de Stéphanie Vignaud.

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de la frontière
L'arrestation Prisons
françaises
Sachsenhausen Marche de
la mort.
Libération.


Ensuite, on a été trimbalé en camionnette bâchée vers Perpignan, à la citadelle de Perpignan où on a été entassé dans des... on était je ne sais pas combien, une trentaine dans une pièce, c'était un corps en sous-sol avec un petit soupirail donnant sur la cour, c'était des caves. Ce n'était pas spécialement une prison. Enfin, cela y ressemblait. Et on est resté là quelques temps jusqu'à ce qu'on nous embarque en nous menottant, en nous donnant une paire de menottes pour deux, en train pour atterrir à Romainville. Je me rappelle, on avait des menottes qui avaient ceci de particulier, c'est que dès qu'on faisait un geste un peu brusque, elles se resserraient d'un cran. Alors, on avait intérêt à synchroniser les mouvements. On a fait donc le trajet Perpignan-Paris - je ne sais plus par quel cheminement - et là, on est allé au Fort de Romainville à Paris où là, on n'est pas resté longtemps fort heureusement parce que c' était alors. ..Là c'était une autre sorte de crainte, de menaces, c'est que venaient de temps en temps à la porte des gardiens allemands qui venaient chercher des prisonniers qui étaient là sur des paillasses par terre. On était sur de la paille. Je n'y suis jamais revenu là mais j'ai un souvenir de cela... on était très épuisé parce qu'on était certainement sous-alimenté, très épuisé... On tombait en syncope chaque fois qu'on se levait brutalement. Si on était allongé et qu'on voulait se lever, même assis, aussitôt la tête tournait et POUF ! On tombait. Tout le monde passait par là. On les voyait tous. Si tu ne prenais pas la précaution de te mettre sur un genou puis sur un deuxième comme ça insensiblement, c'était la syncope assurée, pour vous dire à quel point de faiblesse on était. C'est dans le Fort de Romainville où on a trouvé des tonnes et des tonnes de nourriture à la Libération. Ils avaient de quoi nourrir, ils ne l'ont pas fait. C'est les Quakers qui fournissaient les nourritures... Il y avait des denrées, ce n'était pas la pénurie, mais ils ne nous donnaient rien même juste un soupçon. Je me rappelle, ils nous donnaient une cuillerée à café de sucre en poudre pour la journée et c'est tout. avec quelques fois un petit morceau de pain mais jamais rien de substantiel. On avait le ventre vide, c'était atroce. On se demandait pourquoi ils nous donnaient cette petite cuillerée de sucre en poudre... pour nous faire rêver à autre chose. Alors on avait des types qui étaient dingues, des types qui n'arrêtaient pas de faire des menus, ils faisaient des menus, des recettes. Alors, ils faisaient de la cuisine, ils faisaient des choses, ils étaient là en train de saliver, en train de raconter: " Oh! Je mets ceci, je mets cela, je mets des oignons, je les fais revenir. .." I1s étaient complètement dingues. Je ne pouvais pas supporter ça. Vraiment c'était des gars qui... Et alors, ça excitait encore davantage l'appétit, c'est complètement ridicule. Il vaut mieux penser à autre chose. Mais non, ils étaient obsédés par cela. Et puis, ils en faisaient profiter tout le monde. Alors, ça rouspétait, ça gueulait! Bon, enfin, ça c'est du détail. Mais ce qui est plus angoissant, c'est que de temps en temps les gardiens venaient chercher des otages et des otages qui allaient être fusillés. Alors là évidemment, les otages qui ont été pris: ils sont venus, ils ont ouvert la porte, ils ont " piqué " un tel, un tel en donnant des noms. Alors les malheureux répondaient: "Oui." Vite, ils les embarquaient, on ne les a jamais revus. On a appris après que c'était des types qui étaient pris en otage et qui étaient fusillés. Vous savez quand il y avait eu des menaces. ..enfin des menaces! S'il y avait un soldat allemand abattu, qui était pris dans un piège et qui était abattu, aussitôt ils placardaient dans les rues " Un soldat allemand = 20 prisonniers exécutés! " - 20... je ne sais pas... ou 30, c'était des proportions effarantes. Et dans ces 20 là, il y avait des gens qu'ils allaient chercher au Fort de Romainville. Ca s'est fait d'ailleurs de tout temps. D'autres qui sont allés à d'autres périodes m'ont dit qu'ils faisaient ça, qu'ils venaient les prendre là. Je crois même qu'ils les exécutaient au Fort de Romainville. Parce qu'on avait entendu un matin, on avait entendu quelqu'un qui chantait la Marseillaise - enfin une partie de la Marseillaise - et on a entendu une fusillade après, c'est certainement un type qui était exécuté et qui, avant d'être descendu, chantait le chant patriotique. Bon. Ca s'est particulier à Romainville et ça m'a été confirmé par la suite. On n'avait pas de gazette, on n'avait pas d'information particulière.

Ensuite, on a été acheminé donc vers Compiègne où on est resté à Royallieu quelques jours, je ne sais pas... une semaine. On a été arrêté le 16 avril pour être déporté... le 10 mai. Alors là, à Compiègne, on y est resté très peu de temps et on a assisté à des choses qui, sur le plan de la solidarité, ne sont pas très réjouissantes. Parce qu'on était dans des bâtiments, des baraques, des grandes baraques en dur - c'était des baraques qui avaient servi de casernes... je ne sais -et là, on était mélangé avec des gens qui y étaient depuis des mois déjà, voire des années, qui stagnaient là - ne sait pas pourquoi - qui avaient des contacts avec l'extérieur, avec leur famille qui leur envoyait des denrées alimentaires et ils étaient là en train de " bouffer " allègrement devant nous qui avions le ventre vide sans pour autant nous tendre la moindre miette de pain. Alors... Ce n'est pas général parce qu'on n'était pas tous les cinq dans le même bâtiment, ou bien d'autres qu'on connaissait qui étaient dans un autre bâtiment nous disaient que c'était le contraire: on les a intégrés tout de suite, on a fait des parts, ils ont eu leur part comme tout le monde. Bon nous, ce n'était pas le cas. C'était écœurant vraiment. On n'a pas pu se refaire une santé là ni le temps d'avoir un échange avec l'extérieur pour recevoir quoi que ce soit. D'ailleurs, nulle part. A partir du moment où on a été arrêté, on n'est resté nulle part assez longtemps pour pouvoir écrire officiellement et recevoir quelque chose. D'abord, on était itinérant. Mais on a quand même fait passer des papiers et notamment quand on avait pris le train pour aller à Compiègne et à Romainville depuis Perpignan, on a largué des papiers sur le voie ferrée qui sont arrivés chez nous. Et j'en ai retrouvé après guerre, j'en ai un que j'ai donné à Lajoumade d'ailleurs qui l'a intégré dans le livre qu'il avait fait où il parlait de correspondances. Enfin ça, c'était une correspondance particulière. Quelqu'un avait ramassé le papier et ajouté son nom disant qu'il nous avait vu, etc. ..Il mettait un petit mot gentil pour notre famille, pour nos parents. Là, il y avait quelque chose d'assez sympa mais dont on ne mesurait pas tout de suite l'existence, on ne l'a su qu'après.

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