René LECHNER

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Dans le camp de Buchenwald, il n’y avait pas de chambre à gaz. Il y avait un crématorium qui brûlait pas mal, toute la journée, toute la nuit. Il brûlait des cadavres. Nous, quand on est arrivés au mois de septembre… on est arrivé le 10 septembre, je crois que, quinze jours avant, il y avait eu le bombardement de Buchenwald. Juste à côté il y avait une usine de fabrication. Ils l’ont bombardée.

Je n’ai pas assisté personnellement à des expériences médicales mais quand j’étais au « Revier » j’ai vu des choses qui me paraissaient incroyables. Il y avait un jour, entre autre, un monsieur à l’infirmerie où l’on était, il avait un ventre énorme, on aurait dit une dame enceinte mais, enfin, quand ils l’ont piqué avec un trocart dans le ventre et puis il a coulé un seau de liquide. Je ne sais ce qu’il pouvait avoir exactement.

Là, à Buchenwald, il y avait le commandant du camp et son épouse qui savait que des déportés avaient de beaux tatouages, ils les exécutaient, leur enlevaient la peau et la faisaient tanner pour faire des abat-jour.

Comment ais-je pu résister à tout cela ? Peut-être par mon jeune âge. Parce qu’après mon père est revenu dans le camp. Tant que je me trouvais à travailler là je pouvais, de temps en temps, lui ramener un peu de soupe. Par contre lui, il n’a pas repris le travail. Il est resté, là, dans le camp. Il était trop faible pour travailler. Parce qu’était un blessé de la guerre de 14 et puis, il était terriblement affaibli. Même, déjà, auparavant il était assez souvent malade et puis, là, il était donc… il ne s’en est pas sorti parce que le 7 avril 1945 ils nous ont rassemblés et l’on a évacué le camp. Alors là, on a commencé à partir à pied jusqu’à Weimar, là, ils nous ont embarqués dans des wagons. Ce n’était plus des wagons à bestiaux mais des wagons de charbon. Des wagons que l’on charge par le haut. Il n’y avait pas de toits. On partait de là. On a roulé deux ou trois jours (j’ai les dates exactes sur un papier qu’il me faudrait aller chercher). Ensuite on est parti à pied. Non, avant le 11 avril au matin, en se réveillant, mon père était décédé. Il est décédé dans le wagon. On l’a déposé dans une gare en Tchécoslovaquie qui s’appelle, je l’ai noté, Komoto et, on eut beau faire des recherches par la suite, sous le gouvernement soviétique. Ils n’avaient rien vu, ils n’avaient rien entendu… Ils n’étaient pas au courant de ce qui s’était passé. Et puis, le lendemain, on est parti à pied. On a été jusqu’à Flossenburg.

On est resté deux jours jusqu’à Flossenburg. C’est là que je me suis fait matraquer. Parce qu’ils nous on fait rentrer dans un immense hangar. Et puis, en fin de compte, pour entre dans le hangar c’était beaucoup plus… compliqué que çà parce qu’on se demandait ce qu’on allait faire là-dedans. On se disait « On ne s’en sortira pas… ». Et puis, j’ai pris un coup sur le crâne. Je suis rentré. On est partis deux jours après sur les routes jusqu’au 24 avril où l’on été libéré et je sais que le matin si on n’avait pas été libérés… (moi j’étais resté là parce que je ne voyais plus clair)nbsp; avec les coups que j’avais pris j’avais les yeux enflés…

J’ai donc été récupéré par l’Armée américaine.

D’après le dire des camarades, il y aurait libération… on était entre les Américains et les Russes. Mais, comme je n’ai rien vu, je ne peux dire. On a été mis dans une grange, sur la paille, on est resté là deux jours à peu près. Je sais qu’on nous a apporté du lait à boire et puis les… je ne sais plus qui est venu me chercher. Je me suis retrouvé dans un hôpital américain. Ils ne m’ont gardé même pas une journée, là. Ils m’ont transféré à Erlangen. Erlangen c’est pas loin de Nuremberg, à peu prés, d’après la carte.

Et là, j’aurais été opéré. J’avais les yeux… j’avais les paupières qui étaient gonflées. Ils ont coupé et retirer de l’humeur, du sang… Et puis, je suis resté quelques jours là et j’ai été rapatrié en France par des prisonniers de guerre qui m’ont ramené à l’hôtel « Lutétia » à Paris. J’ai passé devant l’interrogatoire, ce qui était normal, il y avait tellement de travailleurs volontaires qui s’étaient faits passer pour des déportés ou des internés. Je suis resté là une journée, le temps de procéder aux formalités.

Je suis rentré chez moi le lendemain. Je suis revenu dans le train. Dans le couloir… Le train était surchargé. Avant le départ, j’avais été réalimenté. A l’hôpital, on avait une nourriture… un plus… c’était pas le luxe, mais on avait quand même un peu à manger. Dans le fond, je pense que c’était un bien de ne pas avoir un excès d’alimentation. Il y a beaucoup qui sont rentrés de suite chez eux et qui se sont lancée sur la nourriture et qui sont restés…

Là, donc, je suis rentré chez moi. Ils m’ont rhabillé. Ils m’ont donné un costume. Ils m’ont donné un petit peu d’argent. Je suis rentré chez moi, et puis en arrivant chez moi à Belfort... il y avait des amis qui étaient là…

parce que tous les jours, dans les gares, çà venait de partout… çà devait être pareil à Bordeaux… « Ton père, où il est ? » « Mon père il est mort, il est resté là-bas. » Alors, il ne fallait pas en parler à ma mère, puisque ce jour-là mère n’était pas là. « On va réunir un conseil de famille, on va réunir des responsables… » Au bout de trois semaines je ne voyais rien venir.Personne n’est venu. Il n’y a pas eu de responsables, il n’y a pas eu de conseil de famille. J’avais beau demander « On va voir, on va voir… ». Au bout d’un moment, j’ai craqué. J’ai dit à ma mère que mon père était décédé, qu’il était resté là-bas. Et, enfin… bon… il est mort, il est mort… j’ai préféré, moi, qu’il soit mort dans le wagon. Il est mort dans un wagon. Il est mort d’épuisement. Il est mort de sa belle mort. Parce que le long des convois, le long de la route, celui qui tombait, c’était une balle dans la tête. Alors, de façon personnelle la mort de mon père était mieux comme çà…

Les gens ne savaient pas. Les gens ne connaissaient pas. Moi, j’ai vu des gamins des Jeunesses Hitlériennes qui suivaient les convois et quand un type tombait ils demandaient le revolver aux SS pour l’abattre eux-mêmes. Des gamins ! Ils étaient bien imprégnés, ils étaient bien intoxiqués. Et ils ont formé la génération d’après-guerre. Ces gens là ont été marqués à vie. Ils ont tellement été embrigadés…

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