René LECHNER

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que dans l’autre il y avait énormément de marches pour descendre dans ce camp, dans cette carrière, je veux dire. Là, on m’a remonté dans une baraque où il y avait des tailleurs de pierres. Ils faisaient des sortes de bijoux en pierre, si l’on peut dire. Ils faisaient des monuments, ils faisaient de tout. C’étaient des déportés. Je pense des déportés politiques allemands, communistes allemands qui étaient là depuis de nombreuses années, donc, automatiquement, malgré les longues années qu’ils avaient endurées là, ils avaient une vie un petit meilleure que la nôtre.

Oui, je suis resté là à travailler là après dans cette carrière. Le travail consistait à ramasser du bois, à aller chercher du bois, à aller chercher des pierres... Toujours aller chercher des pierres quand même. Mais enfin, moins dure que le travail qui était en bas. Et il faut vous dire aussi qu’on touchait un mark par semaine. Un mark… c’était un papier que je pourrai vous montrer après. C’était un papier où était marqué : « un mark Buchenwald » qui nous permettait d’acheter, avec ce mark, un litre de soupe par semaine. Un litre de soupe qui était de l’eau, ce n’était pas un potage.

Au niveau nourriture, dans le camp, c’était le matin une tranche de pain gros comme une cassette, à peu près et une part de margarine qui devait faire la valeur d’une pile, à peu près. Çà c’était le matin avec une espèce de café et le soir on avait un litre de soupe avec du rutabaga ou alors des pommes de terre cuites à l’eau, c’est tout. Un repas par jour. Après, on passait la journée sans rien dans le ventre.

L’heure du réveil ? Je ne sais plus. Peut-être bien six heures. Alors, on allait faire la toilette, parce qu’on avait… on rigole parfois, comme çà, entre camarades… à Buchenwald, par rapport à certains autres camps, c’était quand même… on avait certains avantages que d’autres n’avaient pas, on avait un genre de lavabo, un truc circulaire. On appuyait sur le bas… pas un bouton poussoir, c’était une barre… on appuyait et l’eau coulait. On arrivait à se laver et on avait quand même certains waters. Alors que dans le petit camp, les waters c’était un muret avec une planche dessus et tout le monde était assis côte à côte pour faire ses besoins. Alors que là il me semble que c’était moins rudimentaire.

 

L’apogée c’était l’appel. Tous les soirs il y avait l’appel. On allait sur la place d’appel. On attendait que ces messieurs veulent bien… rangées par cinq et ils comptaient… S’il manquait une personne, soit un des déportés qui était mort ou qui était resté dans la chambre parce que décédé. Il fallait le ramener. Si, par malheur, on l’avait oublié, s’il n’était pas sur la place d’appel, on attendait qu’on retrouve l’absent. Et là, on restait des fois jusqu’à deux heures ou trois heures du matin. Debout. Et comme c’était la bonne saison, c’était en hiver, puisqu’on est arrivé au mois de septembre. Çà descendait… le plus bas que nous ayons vu descendre, c’était – 35°. L’entrée du camp… on avait l’entrée au dessus et il y avait des projecteurs pour éclairer la place d’appel et ces projecteurs je les ai vu exploser. Je ne sais pas si c’est le froid ou quoi, mais je les ai vu exploser carrément. Les vêtements, on avait juste le treillis sur nous, la toile et on arrivait à supporter çà. Dans les baraquements on avait la chance d’avoir un peu de chauffage. On avait des foyers mais… dans ce camp on était environ 1.000 par baraque alors le chauffage… le peu de chaleur qu’il y avait était la chaleur humaine. On avait une paillasse. On couchait sur deux étages au lieu de coucher sur trois comme dans le petit camp. Un peu moins serrés, on avait une couverture quand même, là. Nous, on a eu la chance après d’avoir avec nous… je crois que c’était de la police du Danemark qui avait été arrêtée et ils recevaient des colis de la Croix-Rouge. Alors on arrivait à avoir, de temps en temps, une bricole. Peut être que c’était par amitié, par gentillesse.

 

Il y avait des gens plus jeunes que moi. Peut-être dans les déportés Français, je crois que les plus jeunes avaient 14 ans. Mais autrement plus jeunes vous aviez les juifs et les gitans qui étaient dans d’autres baraquements que les nôtres. Ils n’étaient pas plus mal traités que nous mais pas moins bien. Dans ceux qu’on a vu… par contre, ce que j’ai vu c’était de recevoir… c’était sur la fin… des convois de juifs qui arrivaient d’Auschwitz et on allait décharger… on peut dire décharger parce que c’étaient des paquets de cadavres qu’on descendait. Ils étaient complètement gelés dedans. De temps en temps il y avait des gars qui s’en sortaient… C’était des cadavres. Ils étaient morts en route.

 

 

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