Témoignage de Georges Durou

le 14 décembre 1999 à Gradignan

Mémoire de Stéphanie Vignaud


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Le retour

L'étudiante: " Et donc l'arrivée à la gare St Jean ? "

G.D : "L'arrivée à la gare St Jean: j'ai été surpris... J'ai été surpris. Il y avait la foule... évidemment, tous les soirs, qui allait attendre et espérait revoir l'un des siens. Alors quand on est passé... j'avais récupéré une écharpe et puis ma veste de déporté. Enfin, c'était pour tous la même chose, je suppose, quand on est arrivé à la sortie de la gare, les gens m'ont applaudi. Je pensais à ceux qui étaient restés~ si j'y étais resté, ils ne m'applaudiraient pas. Enfin bref. J'étais plutôt gêné, cela me faisait drôle. Et puis mes sœurs se sont précipitées. Ca a été un grand moment d'émotion. [silence] "

L'étudiante : " Et après, le retour dans la famille ? "

R.D : " J'ai bénéficié pendant six mois je crois d'un congé maladie et récupéré un peu. Et puis, j'ai repris mon travail aux P. T. T. et au lieu de distribuer des télégrammes, j'étais au central télégraphique, à l'intérieur du Central télégraphique .On m'a appris à manipuler les instruments de communication qui au début était le morse puis ce qu'on a appelé le" bodot " : cinq touches de piano sur un petit clavier qu' il fallait frapper en cadence pour coder les messages. Ensuite il y a eu le " crid". Le " crid ", c'est une machine à écrire ~ on transmettait avec la machine à écrire. J'ai été déplacé parce que je distribuais des tracts dans les services. C'était interdit. J'ai été suspendu de mes fonctions pendant trois mois ~ puis j'ai été réintégré au bureau de poste de Caudéran. Quand je suis arrivé, on me regardait avec de grands yeux : sanctionné! J'ai réintégré et en 1953, il y eut la grève, j'étais sur le devant de la scène. Puis, j'ai été détaché comme délégué syndical C.G.T. "

L'étudiante: "Au moment du retour, dans quelles conditions de santé étiez-vous?"

G.D :~ " J'étais - par rapport aux images que l'on avait vues dans les journaux : squelettes, etc... - je n'étais pas comme ça. J'avais quand même un peu de chair sur les os. D'une part grâce à ce colis qu'on a reçu, qu'on a divisé très parcimonieusement et qui nous a permis de tenir dans ces conditions; et parce que pendant les quinze jours avant le rapatriement, on s'était organisé pour ne pas faire d'excès, au contraire pour se surveiller, pour faire un peu d'exercice. Je pense que c'est ce qui m'a permis d'arriver dans un meilleur état que celui que l'on a montré. C'est ce qui faisait dire: " Tu n'as pas trop souffert ! " aux voisins qui venaient me soutenir, dans le quartier: " Oh! Mais il n'a pas trop souffert ! Ca va, il est bien! " (rires)

L'étudiante: " Avez-vous fait partie de l'Amicale de Sachsenhausen dès qu'elle a été créée?"

G.D : " Je pense mais je n'ai pas participé. J'ai participé la première fois quand ils ont fait un congrès à Bordeaux en 1956. C'est là que j'ai pris un peu contact. Avant, j'avais adhéré mais je ne participais pas. Je n'allais pas aux réunions. Comme j'avais adhéré à la F.N.D.I.R.P. Je ne suis jamais allé à aucune réunion.. Moi, j'avais tiré un trait... C'était le passé, je construisais l'avenir: " les lendemains qui chantent ". C'était ma génération. On construisait une société nouvelle, solidaire, de paix, de fraternité, d'amitié, d'égalité. Voilà, on était plein d'illusions. Je me suis consacré à ça. Ca n'a pas réussi d'ailleurs. Donc, je n'ai repris contact que peut être vers les années 1975 -1980. C'est là que j'ai commencé à reparler un peu, parce qu'on était davantage sollicité aussi sans doute. Le concours de la Résistance, je ne sais pas depuis quelle date mais vers 1985, a été créé. On était davantage sollicité, alors j'ai fait un effort pour parler. Et puis, j'étais moins pris par mes fonctions syndicales, j'étais plus disponible. Et j'ai été très longtemps, très longtemps silencieux - c'est un reproche que me font mes enfants - je ne leur ai jamais parlé de ma déportation, ce n'est que maintenant que j'en parle un peu. J'ai amené mon fils à" Sachso ", il y a deux ans, en pèlerinage. Et moi, le premier que j'ai fait, c'est pour... un peu avant le 50ème anniversaire. J'ai dû en faire un vers le 45ème anniversaire. Et j'y suis revenu vraiment pour le 50ème anniversaire. D'ailleurs, l'équipe de FR3 Aquitaine nous a accompagnés. On a diffusé un peu plus d'émission sur cette période. "

L'étudiante: " Et donc à l'heure actuelle, l'Amicale, que représente-t-elle pour vous ? "

G.D : " C'est l'occasion de retrouver tous les frères de misère. Cela me fait plaisir. Ca fait plaisir et en même temps, cela remémore des souvenirs douloureux. C'est bien qu'on se regroupe et surtout qu'on puisse en parler à l'extérieur parce que si on n'était pas là pour en parler... Alors, c'est très intéressant qu'il y ait ce concours de la Résistance parce qu'un certain nombre de gens, de classes, de jeunes participent. A nous, cela nous oblige à faire un effort pour parler .Le concours de la Résistance nous aide.

L'étudiante: "Avez-vous gardé des contacts avec par exemple le groupe des cinq?".

G.D " Oui, pendant un certain nombre d'années, puis la maladie et la vie a repris son cours. Et ils sont morts. Le dernier que j'ai revu c'était Roger Chaput au congrès de la F .N .D .I.R.P à Bordeaux en 95 je crois. Il est mort lui aussi. "

L'étudiante: " Avez-vous fait des écrits parce que j'ai lu l'ouvrage Sachso qui a été fait par l'Amicale et j'ai vu que vous n'aviez pas participé ? "

G.D. : A cette époque-là, je n'écrivais pas. On me l'a reproché.

L'étudiante: " Et maintenant ? "

G.D. : "Alors là, j'ai eu l'occasion d'écrire... je ne sais pas si vous connaissez l'Institut Aquitain d'Etudes Sociales. Je participe à l'Institut Aquitain dont le professeur, M. Lachaise était le Président à l'époque; on avait décidé de faire une publication sur 1945, où chacun devait raconter des souvenirs de 1945. On m'avait demandé si je ne voulais pas écrire sur la déportation. J'ai écrit, [il va nous chercher un exemplaire de ce témoignage] "

L'étudiante: " Après, avez-vous continué ? "

G.D:. " J'ai continué à m'occuper, à parler. "

L'étudiante: " Avez-vous collaboré à d'autres livres ? "

G.D. : " Non. Je suis en train de préparer ma biographie. Non, j'ai parlé dans pas mal de Lycées comme celui de Victor Louis à Talence, à Pessac aussi, à des étudiants. "

L'étudiante : " Donc, vous avez le statut de déporté politique ? "

G.D : " Moi j'ai le statut de déporté politique. C'est une aberration. Pourquoi ceux qui diffusaient des tracts communistes, l'Humanité, l'Avant Garde, etc... avec des écrits contre les Allemands, contre Vichy, qui appelaient la population à ne pas se laisser faire... on considérait qu'il ne faisait pas de résistance. Mais par contre celui qui recueillait un renseignement, qui le disait à un autre, celui là était un résistant. Voilà. Il y en avait qui écrivaient des "V" sur les murs, d'autres qui à une période se promenaient avec deux gaules: deux cannes à pêche sur l'épaule. Eux, c'était des résistants. Mais, quand au risque de sa vie, on distribuait des tracts pour préparer la population à résister, à ne pas rester passive, à réagir... ce n'était pas de la Résistance parce que c'était les communistes. Alors on a inventé à la Libération, quand on est revenu, on a inventé des gens qui étaient politiques et d'autres qui étaient résistants. Et moi, je suis un politique, je ne suis pas un résistant. "

L'étudiante: " Merci beaucoup ".