Témoignage de Georges Durou

le 14 décembre 1999 à Gradignan

Mémoire de Stéphanie Vignaud


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Présentation Sachsenhausen Soupe des
Français
Evacuation Kommando
Heinkel
Le retour

L'étudiante: C'était au Revier d'Heinkel ?

G.D. ; Non. Du grand camp. Puis je suis sorti au maximum huit jours avant l'évacuation. J'ai retrouvé les copains. On s'est à nouveau regroupé, organisé. Le jour de l'évacuation, on nous a conseillé: " Attendez! Ne vous précipitez pas." Puis, le dernier jour est arrivé. Il fallait y aller. On n'espérait plus que les Russes arriveraient assez tôt parce qu'on voyait les combats aériens. Et quand on a compris que rien n'arriverait, on a décidé de partir parce qu'il y avait aussi la menace de l’extermination. C'est ce qu'ils avaient envisagé d'ailleurs, au lance-flammes. Donc on a été évacué par la route. On a fait le chemin comme tout le monde jusqu'à Schwerin, en s'aidant plus ou moins, comme on le pouvait, les plus forts aidant les plus faibles. On ne s'est pas tous sauvé, trois ou quatre nous ont abandonnés. Ca, ça a été terrible... Des gars qu'on porte, qu'on soutient, qu'on supporte et qui nous disent: «Ne vous fatiguez pas! C'est fini. Je n'en peux plus. Laissez-moi » II s'arrête et puis un coup de pistolet. Le S.S. le balance dans le fossé. On se dit: on ne pouvait rien faire. On n'avait pas la force de le porter comme ça encore longtemps. C'est horrible de se dire...oui, il nous implore de le laisser et puis d'un autre côté, on se dit: C'est vrai qu'on n'est pas capable de... Donc, il faut avancer. C'est comme ça. A propos de la solidarité d'ailleurs -je l'ai écrit quelque part mais je peux vous le dire - à propos de la distribution des casse-croûtes on était trois à décider qui allait avoir un casse-croûte supplémentaire, enfin il, y en avait deux puisqu'on avait deux casse-croûtes à distribuer pendant une semaine. Quelquefois, on prolongeait une semaine de plus quand on constatait que c'était nécessaire... C'était un drame chaque semaine de se dire: à qui ? S'il n'y avait eu que deux détenus très affaiblis, ça aurait été facile mais il y en avait toujours plus, il y en avait toujours 7-8-10. Alors, à qui ? Comment décider? Alors, on jugeait mais c'est toujours subjectif. L'objectivité n'existe pas dans ces cas là. On pense que celui-là en a plus besoin, peut-être que celui-là va se sauver, pas l'autre. Et puis, il pouvait se trouver que celui qu'on croyait sauvé meure huit jours après et que celui qu'on croyait mourant, survive. Là aussi, c'était dramatique toutes les semaines. A qui ? Quand il s'agit d'une vie humaine. ..Pour certains, c'est vrai qu'on a dû les sauver avec ce casse-croûte qui leur a redonné confiance et leur a permis de repartir. Voilà. A ce propos, dans les journaux, quelques uns ont essayé de faire la critique ou la morale parce qu'on avait aidé les uns et pas les autres, on a accusé particulièrement Marcel Paul -je ne sais pas si vous en avez entendu parler -qui a été déporté à Buchenwal. A son retour, il a créé la F.N.D.I.R.P., et a été Ministre à la Libération, il a été ministre de la Production Industrielle. Pour le déconsidérer, comme il était dans l'organisation clandestine, on disait qu'il avait envoyé des détenus à la mort parce qu'il n'avait pas voulu les soutenir. En entendant ces accusations, je me rappelais - puisque je suis resté quinze jours au Revier de Sachsenhausen - un médecin français; pour lui aussi, c'était dramatique tous les jours, tous les jours. Je dramatise mais... il avait dix cachets d'aspirine et il y avait cinquante, cent bonhommes sur le point de mourir et il savait que peut-être ce cachet d'aspirine allait en prolonger, peut être en sauver un seul. A qui le donner ? Alors s'il ne le donnait pas à un mais à un autre, il sélectionnait ? Pour Marcel Paul, on a essayé de l'accuser de ça. C'est Serge Dassault, l'avionneur, qui était aussi à Buchenwald, qui a apporté un démenti cinglant et qui a fait savoir que la conduite de Marcel Paul avait été irréprochable et que pour la solidarité, il avait fait ce qu'il avait pu, enfin selon les moyens qu'il avait et qu'il n'était pas le patron. Rendre la solidarité responsable de la mort dans les camps est aller loin, qui était responsable de la mort ?

C'était les S.S. qui nous avaient mis dans les camps de concentration. On détourne les responsabilités. Dire que si des détenus ne sont pas revenus, c'est la faute de Marcel Paul, leur compagnon, ou des communistes qui organisaient la solidarité, c'est innocenter les S. S., le gouvernement de Vichy... Tout le monde est blanchi !