Témoignage de Georges Durou

le 14 décembre 1999 à Gradignan

Mémoire de Stéphanie Vignaud


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Présentation Sachsenhausen Soupe des
Français
Evacuation Kommando
Heinkel
Le retour

J'ai parlé précédemment de Carabasa, un ancien combattant Espagnol. Lorsque le responsable politique était allé voir les cuisiniers, il avait répliqué: "Moi, je suis d'accord mais vous êtes organisé entre Français. Moi, je suis Espagnol, je vais organiser la solidarité aux Espagnols."; Il a donc organisé son réseau de solidarité.

Pendant une assez courte période, une autre forme de solidarité a existé. Pendant quelques mois, certains seulement ont reçu des colis, car ils n'arrivaient pas tous. Les familles envoyaient des pâtes, du lait, des haricots. Et on n'avait aucune possibilité de faire cuire.

Ce groupe de copains à la cuisine avaient persuadé le Vorarbeiter qui était un communiste, ainsi que le S.S., que c'était dommage de perdre cette marchandise et qu'il valait mieux en faire une soupe. C'est ce qui a été fait quand la récupération a été suffisante. Alors une vrai soupe a était distribuée. Cette soupe a été appelée "la soupe des Français". Dans ma baraque, un chef de block était lui aussi un communiste allemand, on supposait qu'il était de l'organisation clandestine. Je l'avais ainsi testé en le mettant à l'épreuve : dans la baraque, tout le monde se plaignait que la soupe était mal distribuée.

Le Stubedienst- celui qui distribuait la soupe- ne prenait pas au fond du bouteillon et servait beaucoup d'eau. Je suis donc allé voir le chef de Block pour l'en informer et lui demander de faire quelque chose, il me répondit: "Bon. Je vais voir." Alors, un soir, il a distribué lui- même la soupe en remarquant bien que tout le monde était content que ce soit le chef de block qui le fasse. Mais quand il a eu terminé, il restait à peine une gamelle. Alors il m'a appelé, et m'a dit: "Voilà, qu'est-ce que je fais avec ce rabiot ? II y a trois gars qui sont allés chercher la soupe, qui nettoient les gamelles, qui les remportent. Il y en a un qui fait le ménage. Qu'est-ce que je fais moi avec ça ? Si je ne leur donne pas de supplément, demain, il n'y aura personne pour faire ce travail." Je n'ai rien dit. Lorsque "la soupe des Français" est arrivée, je suis allé à nouveau trouver le chef de block au moment de la distribution. Je suis allé le trouver et je lui ai dit: "Voilà. Je suis Français. Je souhaiterais que ce soit moi qui distribue la soupe." "D'accord" J'ai eu le plaisir de la distribuer, en faisant bien attention que la louche soit pleine.

Par contre, ceux qui attendaient pour nettoyer les gamelles et ramasser le reste -il n'y en avait pas beaucoup - m'ont fait des reproches. Mais, c'était extraordinaire d'avoir pu faire pour l'ensemble du camp une soupe de la solidarité et consistante cette fois. Episode que peu ont raconté. Il y a eu différents écrits, mais j'en ai peu entendu parler . Voilà. Ca a duré jusqu'à ce que le camp soit bombardé. Je n'ai pas en tête les dates. Vous les retrouverez dans le bouquin sur «Sachso». D'ailleurs, je crois qu'on ne parle pas de cette «soupe de la solidarité.»

L'étudiante: "II me semblait que si justement. Il me semblait que cette expression soupe des Français, je l'avais déjà entendue.»

G.D : "Enfin moi, j'ai eu le plaisir de la distribuer. Je crois que c'est unique. Puis, il y a eu le bombardement. Et à ce moment- là, le hall dans lequel nous travaillions a été bombardé. On nous a transférés dans un autre hall en sous-sol et là, j'ai mal travaillé. Ca m'arrivait souvent mais je ne me faisais pas prendre. Et puis j'ai un peu exagéré peut-être. C'était vers la fin. Une série de pièces que j'avais "loupée" A ce moment- là, il y avait un Kommando qui partait le matin en train et qui allait à Speer. Un des adjoints d'Hitler y était propriétaire d'une grosse entreprise d'aviation. On partait le matin, je ne me souviens pas trop, je crois que c'était vers 6 heures, on se levait plus tôt. On montait en courant dans les wagons. Ils avaient aménagé deux wagons de voyageurs où ils avaient supprimé toutes les cloisons, ils n'avaient gardé que la structure extérieure en fer, donc, ils nous entassaient là- dedans. On ne sait pas combien on était. Il y en a qui disent 200, d'autres 300, d'autres 400, d'autres 500,.. on ne sait pas. Bref. On nous a embarqués dans ces wagons, à la course et puis on est arrivé à Speer qui n'était pas loin de Sachsenhausen, du grand camp et là, on travaillait ou on ne travaillait pas, car c'était vraiment la fin. Pour ma part, je suis tombé sur un civil qui me fichait royalement la paix, il me disait ce que je devais faire mais je ne le voyais pas. Je ne faisais rien, alors je circulais... J'avais la charge de transmettre les communiqués. Ca a duré jusqu'à un bombardement de cette ligne de chemins de fer qui nous a coupés du Kommando Heinkel, alors on nous a intégrés au Kommando Klinker où se trouvait Speer. Ils avaient construit là un camp autour d'une briqueterie, d'une fonderie.. J'ai été affecté à la fonderie. A la fonderie, je travaillais à côté des fours. On mettait de côté tout ce qu'on appelait de la "crasse" parce qu'on faisait de la fonte avec de la vieille ferraille, ...on mettait tout ça ensemble, on fondait tout ça et il y avait beaucoup de déchets que l'on appelait "la crasse" et qui était déversée sur le côté; elle tombait dans un cône qui était monté sur un chariot, un cône en fonte. J'étais chargé de tirer ce chariot, (il faisait 200 kilos environ - je ne sais pas - avec des roues en fer à l'extérieur de la fonderie, de le renverser et de le ramener. Ca a duré jusqu'en février je crois où il y a eu le bombardement du camp et de cette usine qui a été complètement rasée. Alors, j' ai eu la chance d'en profiter - puisqu'une bombe était tombée sur les barbelés - pour passer au travers avec une cinquantaine d'autres. On a couru dans la campagne, et les S. S., qui avaient prévu, nous ont récupérés dans un bois. Pour ma part, j'étais tombé dans le champ qu'on traversait, il y avait un chapelet de bombes. J'ai été pris dans ce chapelet, j'ai été projeté en l'air, je suis retombé dans le trou, la terre était meuble, je n'arrivais pas - c'est comme du sable vous voyez - je n'arrivais pas à remonter, des gars sont passés, j'ai hélé, ils ont fait la chaîne, ont tiré mais j'étais sérieusement "sonné". Ce qui fait qu'en arrivant au camp, on m'a admis à l'infirmerie. Et je suis resté à l'infirmerie jusqu'au mois de mars, huit jours avant l'évacuation. Là aussi, j'ai bénéficié de l'organisation clandestine qui m'a retrouvé. Le soir, en ne me voyant pas, les camarades m'ont cherché et m'ont retrouvé au Revier, grâce à eux, je suis resté plus longtemps à l'infirmerie que je n'aurais dû. Je suis resté 15 jours, le temps de me retaper un peu. Là, on se retapait parce qu'à côté de vous, il y avait des mourants, donc on mangeait la gamelle qu'ils laissaient. C'était courant.