Mémoire d'un résistant déporté.

ENTRETIEN AVEC RENE DUPAU

Le 3 Novembre 1999 à Caudéran à 14 heures

Mémoire de Stéphanie Vignaud


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Sachsenhausen

Vers la fin de l'année 43, nous avons été autorisés à envoyer une carte écrite en allemand pour que ça passe à la censure et ça passait à la censure pour qu'ils puissent contrôler. J'ai réussi à faire une carte pour dire simplement: " Voilà, je suis en Allemagne. Je travaille comme ouvrier dans une usine ". Terminé - Il ne fallait pas dire où on était. Mes parents ont reçu en effet cette carte et j’ai su qu'elle était arrivée parce que nous avons reçu un colis peut être un mois ou un mois et demi après. Lequel colis était en partie pillé déjà par les S.S. Nous avions des choses qui nous sont restées, colis que nous avons partagé avec des camarades proches quoi. Ce n'était pas grand chose mais enfin nous avons partagé. D'ailleurs, il s'est créé, comment dirais-je, une fraternité entre nous à quelques uns. Celui qui pouvait recevoir un colis partageait avec les autres: tantôt c'était l'un, tantôt c'était l'autre et voilà. C'était la communauté quoi. On se soutenait les uns les autres parce que, bien sûr, nous étions maltraités physiquement, nous n'avions pas à manger bien sûr, mais ce qui nous réconfortait le plus, c'était le moral. On se réconfortait les uns les autres en disant

" Mais, tu vas voir, il n'y en pas pour longtemps. Les américains, les anglais vont arriver, débarquer, etc... "

On se faisait beaucoup d'illusions parce qu'on ne pensait pas du tout que ça allait durer aussi longtemps. Oui, je crois avoir reçu deux, peut être trois colis, je ne me rappelle pas exactement, mais c'est tout. Parce qu'après, ça a été terminé parce que il y a eu le débarquement. Toutes les voies de communication étaient réservées pour l'armée allemande, pour les renforts, etc... Ca s'est très vite terminé ça. Voilà.

J'ai retrouvé au camp mon chef de groupe qui avait été arrêté et qui faisait partie de l'organisation de résistance interne. Il est venu en déportation avec moi. Il était au Fort du Hâ. Je l'ai retrouvé au Fort du Hâ parce qu'il avait été interné là. Alors, lui avait le numéro 58495 et moi le 58496 parce que nous avons tout fait pour rester ensemble.

Lui avait des contacts, il connaissait d'autres gens que moi je ne connaissais pas et c'est comme ça qu'on y est entré. C'était très très secret. On n'allait pas afficher ça. D'ailleurs, ça a valu une fusillade de camarades: de Bergeron par exemple, en particulier des Pyrénées Atlantiques, qui a été fusillé parce qu' il a été pris justement dans ce groupe d’organisation clandestine du camp. Alors, toutes les nationalités étaient représentées là: il y avait des polonais qui en faisaient partie, des ukrainiens, je ne sais pas ~ il y avait aussi des danois, il y avait aussi des norvégiens (il y a toute une université d'Oslo qui a été déportée aussi.

J'ai été admis au Revier IV pour oreillons le 30 juin 43. Le 4 avril 45, l'usine ne marchait plus, manques de matières premières et puis, la situation s' aggravait, les russes préparait l’offensive sur Berlin. Il a fallu évacuer le camp. Alors, j'ai quitté le camp de Reinkelle 4 avril 45 avec au total 482 déportés. Vous voyez, en direction de Berlin. On a été mis dans des wagons à la gare d'Oranienburg et là, dans la nuit qui a suivi, nous avons subi en pleine gare de Berlin, dans une des gares de Berlin (je ne savais pas où je me trouvais exactement) un nouveau bombardement. Mais alors là, c'était sur la gare à tel point qu'on entendait même entre les explosions, les ustensiles de cuisine descendre. Voyez que c’était donc sur place! Alors là, nous avons eu très peur et tout le monde s'est couché le plus possible parce que s'il y a des éclats, on peut peut-être éviter le pire.

Et ensuite la fin de l’alerte est arrivée et il y a eu une nouvelle alerte. Alors là, on s'est dit:
" On y a échappé une fois, mais pas deux , certainement pas! ".
En fait, ils ont bombardé un autre quartier de Berlin. Ce n'était pas les américains, c'était les anglais. On les entendait bombarder en piquer ~ on était sûrs que c'était les anglais parce qu'ils n'avaient pas la même technique pour bombarder. Les américains bombardaient à 10 ou 12000 mères, en veux-tu, en voilà. Ca tombait où ça pouvait. C'était tout à fait différent. Tandis que les anglais étaient très précis pour leurs bombardements. Nous avons donc poireauter dans tout Berlin toute la nuit parce que sans doute il y avait des dégâts un peu partout et nous sommes arrivés le 5 avril 45 au camp de Schwarzheide. Ce camp de Schwarzheide se trouve en Saxe, au sud, dans la partie sud de l’Allemagne et là nous sommes entrés dans un petit camp, un tout petit camp, où il y avait environ 2 ou 300 déportés, des déportés allemands et aussi des déportés juifs qui venaient sans doute d'un autre camp parce qu'ils avaient dû évacuer ailleurs. Et, ils se trouvaient là. Il était assez restreint comme camp. Là, nous sommes restés quelque temps et j'ai été affecté au déblayage d'une usine de produits chimiques là qui ne marchait plus. Enfin bref, ça n'a pas marché parce qu'il n'y avait plus rien qui marchait. Et le... 19 avril, nous sommes partis de ce camp de Schwarzheide. Schwarzheide, ça veut dire " pays du silence ". Mais ce n'était pas silencieux à l'époque, je peux vous le dire. Alors là, ça a été la marche de la mort. On nous a attelé à des charrettes qui tiraient le matériel pour la nourriture etc pour les SS et pour nous peut être aussi. Nous avons marché le premier jour 40 kilomètres en direction de la Tchécoslovaquie. Ca a été épouvantable et tous ceux qui ne pouvaient pas suivre... c'était une balle dans la nuque. Le premier jour, on n'a pas eu tellement de morts. Le deuxième jour, ça a été beaucoup plus grave parce que, bon, on était affaibli et on n'a surtout pas touché la moindre nourriture pendant 48 heures; nous n'avons pas touché la moindre nourriture. Ca a été épouvantable. Et plus ça allait, plus il y avait des morts. De plus, il faisait très mauvais temps, il pleuvait, il faisait très froid (c'était quand même au mois d'avril). Et nous avons navigué comme ça de villes, de lieux en lieux. Et puis d'ailleurs, je dois signaler quelque chose qui nous a fait mal au cœur bien sûr. Ils ont pendu le dernier déporté qui était un polonais. Ce polonais, soit-disant, avait tenté de s'évader. En fait, c'était très difficile parce que, non seulement il y avait des S.S, il y avait les chiens aussi. C'était très difficile de s'évader. D'ailleurs, dans l'état où nous étions: de plus en plus maigres, de plus en plus squelettiques... Ils l'ont pendu et comme il n'y avait pas de corde pour le pendre, il y a un gardien qui a trouvé un fil électrique gainé. Ils l'ont attaché à la poutre et ils l'ont pendu avec ça. Ca a été devant nous tous. Vous voyez un peu ce que ça peut faire. Alors, le pauvre polonais qui avait une vingtaine d'années... Alors qu'on n'était pas loin de la libération...



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