Mémoire d'un résistant déporté.

ENTRETIEN AVEC RENE DUPAU

Le 3 Novembre 1999 à Caudéran à 14 heures

Mémoire de Stéphanie Vignaud


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Photo René Dupau

Je m'appelle René Dupau. Je suis né le 18 Juin 1922 dans les Landes à Boos exactement.

J'ai eu juste mon certificat d'études et mon certificat d'études complémentaires qui correspond maintenant au Brevet.

J'étais cultivateur tout simplement. Oui, comme mes parents. Voilà.

J'ai fait toute ma résistance dans les Landes et j'ai été arrêté dans ce même département. J'ai été emmené ensuite au Fort du Râ à Bordeaux où j'ai subit des interrogatoires très musclés avant d'être déporté à Oranienburg-Sachsenhausen, un camp qui se trouve au N.O. de Berlin.

Depuis Janvier 1941, je me trouvais engagé dans le Front National de Libération de la France, dont on a souvent dit qu'il était constitué essentiellemnt de communistes. C'était faux car dans notre groupe, on avait même un abbé qui était de Labrit dans les Landes. Vous voyez, ce n'était pas forcément un communiste. Ensuite, je suis passé dans les Francs Tireurs et Partisans Français (il y avait aussi des Francs Tireurs Partisans Espagnols), et j'ai été admis dans les Forces Françaises de l'Intérieur le 1er mai 1942; j'ai été homologué par l'autorité de la Vème région militaire.

Tout au début, j'ai été contacté par un nommé Dupau, lui aussi. C'était assez curieux: il n'était pas parent avec moi. On avait discuté de la situation, de l'occupation allemande et surtout de la collaboration du Maréchal Pétain; et ça ne nous plaisait, ni à l'un, ni à l'autre. Brusquement, il m'a demandé si je voulais faire partie de la résistance. Je cherchais effectivement à y entrer mais je n'avais aucun contact avec un quelconque groupe. Je ne savais même pas s'il en existait localement. Tout de suite, j’ai dit "oui, bien sûr" et tout de suite il m'a donné des tracts à distribuer dans les boîtes à lettres en me disant: "Voilà, si tu veux, tu peux être mon adjoint dans le Front National localement. Il faudrait qu'on soit trois et j'ai un autre camarade de Morcenx (toujours les Landes) qui veut en faire partie lui aussi. Il nous faut nous organiser par groupe de trois, autrement il y a du danger pour les arrestations. Trois personnes qui se connaissent, c'est le maximum. C'est ce qui s'est passé. Donc, lui était chef de groupe, j'étais son adjoint et le 3ème camarade faisait partie de notre triangle d'organisation local.

Au début, nous nous cantonnions dans la propagande anti collaborationniste. Nous avions du mal à digérer la présence de l'occupant allemand et le pillage systématique de nos richesses auquel il se livrait. L'humiliation... Déjà, il y avait des arrestations. Déjà, il y avait des fusillés, des déportés. Les premiers déportés sont arrivés au camp d'Orianenburg-Sachsenhausen dès 1941; c'était des mineurs du Nord.

Ensuite, le 1er mai 1942, mon chef de groupe me dit: "Ecoute, c'est très simple, si tu veux on va passer à une action beaucoup plus violente: on va faire des sabotages, etc... si tu veux faire partie des Francs Tireurs et Partisans."

Bien sûr, j’ai dit oui et il était toujours mon chef de groupe et j'étais son adjoint. Et là, bien avant le 1er mai 1942, nous avons fait les premiers attentats dans les Landes: nous avons incendié deux usines de produits résineux qui travaillaient uniquement pour les allemands. Cette matière était précieuse. L'attention de la police de Vichy fut attirée. Ce qui fait que, très vite, mon chef de groupe a été arrêté. Il était déjà fiché comme communiste. J'avoue que j'étais moi-même communiste, toute ma famille était communiste d'ailleurs et c'est peut être pour ça que nous sommes entrés dans la résistance; nous étions des anti-fascistes convaincus et il fallait faire quelque chose.

Donc, j'ai remplacé mon chef de groupe et j'ai continué à diriger le groupe, en liaison avec Paris, avec des agents de liaison. J'ai perdu une partie du groupe du côté de Cascen-Ponson, précisément sur le lieu d'habitation de mon chef de groupe. Ils ont pris peur bien sûr; ils se sont faits oublier. Résultat: j'ai continué avec les autres groupes que j'avais formés; il y en avait un à Morcenx, un autre à Laluque, un autre à St Vincent de Paul, plus exactement à Buglose.

Le 14 juillet, mon chef de groupe était déjà arrêté, nous avons, à nouveau, exécuté deux attentats. Nous préparions, principalement, l'anniversaire de la bataille de Valmy, de 1792 (si je ne me trompe) Nous avions reçu instruction de Paris de marquer le coup. Il fallait faire quelque chose d'important.

Malheureusement, nous n'avions pas d'explosifs. On nous en avait promis. Ce n'est que la 4 septembre que je pus aller en chercher en gare de Dax. D'ailleurs là, j'ai eu très peur : il y a eu une descente de la gendarmerie qui est arrivée tout de suite après l'arrivée du train. J'étais déjà sur le quai en possession du colis qu'on m'avait passé avec le mot de passe qui était prévu. Précipitamment, je suis rentré dans un local de la SNCF (ce n'était pas la SNCF à l'époque mais les chemins de fer). Un cheminot m'a barré la route: "C'est interdit". Je répondis: "Mais j'ai la Gestapo au derrière". Il m'a fait passer alors par une porte dérobée et j'ai pu gagner le large. J'ai remporté les explosifs chez moi et les ai cachés dans une ferme à côté de chez moi, une ferme désaffectée. Malheureusement, ces explosifs n'ont servi à rien parce que j'ai été arrêté le lendemain. C'est incroyable, mais c'est vrai. J'avais deux objectifs principaux que j'avais d'ailleurs désignés à nos agents de liaison. Il y avait un poste de transformation électrique à Cougnala (c'est la commune de Lesgor, à côté de Rion des Landes) que je devais faire sauter. J'étais chargé de cette mission. Mon sous chef de groupe, qui s'appelait Degert, et était à Laluque, devait s'occuper de faire sauter une grue à la gare de Laluque. Cette grue servait surtout à décharger le matériel des militaires allemands. Malheureusement, ça n'a servi à rien, puisque le lendemain, j'étais arrêté. D'ailleurs, j'ai cru à un moment donné que j'avais été suivi depuis la livraison du colis à Dax. En fait, ça n'avait absolument aucune relation. La preuve en est qu'aux interrogatoires, on ne m'a posé aucune question sur ce colis. Personne ne savait que j'avais été chercher ces explosifs. Ils savaient qu'on préparait des attentats, mais ne connaissaient les moyens que nous devions utiliser. D'ailleurs aux interrogatoires, j’ai eu la preuve qu' ils n' étaient pas au courant. Quand j’allais chercher des agents de liaison à Morcenx, j'avais un surnom: c'était Zézé; localement, c'était Roger; mais à Dax, c'était un autre surnom, c'était Paulette. J'ai surtout été interrogé sur le nom de Paulette. Ils voulaient savoir qui c'était cette fille. C'est là que j'ai eu la preuve qu'ils n'étaient pas au courant et qu'ils ne m'avaient pas identifié pour mes liaisons à Dax.

Voilà comment s'est terminée ma résistance. J'ai été interrogé ici au Fort du Hâ par l'inspecteur Poinsot, l'inspecteur Célerier, Evrard. J'ai subi trois interrogatoires, trois journées d'interrogatoires: le 21 septembre, le 22 septembre et le 23 septembre 1942. Le dernier interrogatoire, j'étais par terre, inerte. J'avais tellement, tellement... On m'avait cassé d'ailleurs, défoncé des côtes, on m'avait cassé des dents. Je ne pouvais plus me relever; on m'a fait me relever quand même et tout en titubant, on m'a mis debout et on m'a présenté un garçon qui était certainement de mon âge, peut être un peu plus âgé complètement tuméfié, ensanglanté de partout. Il ne voyait même plus clair et on lui a dit: "Est-ce que c'est chez lui que tu couchais?" parce que je recevais des agents de liaison chez moi et que j'étais mineur. Et s'ils avaient eu la preuve que ces agents de liaison couchaient chez moi, mon père et ma mère auraient été arrêtés et mon frère aussi. Donc je ne pouvais pas parler, ce n'était pas possible. Et ce pauvre garçon là, je ne l'ai pas reconnu; peut être que c'était un agent de liaison. C'était sûrement un agent de liaison d'après les questions qu'ils m'ont posées; j'étais persuadé que c'en était un. Est-il venu chez nous ? Je n'en sais rien. Toujours est-il qu'il ne pouvait même plus répondre par la parole et il a fait un signe négatif de la tête. Et à partir de là, on m'a laissé tranquille. Je n'ai pas revu des inspecteurs de police, bien que l'inspecteur de police m'a ramené sur un brancard parce que j'étais incapable de marcher. C'était la première fois que je rentrais à nouveau au Fort du Hâ sur un brancard et là, il y a eu un incident. Il y a eu un incident car le préposé allemand qui devait donner une décharge, sans doute, a refusé de signer, vu mon état. L'inspecteur qui était français, l'inspecteur Célerier, lui a dit " Attention, si vous ne signez pas, je vais le signaler à la Gestapo et vous allez vous retrouver sur le front avant longtemps ". Et bien l'allemand a signé mais il ne m'a pas ramené à la cellule tout de suite. Il m'a conduit à l'infirmerie pour me faire soigner parce que j'étais ensanglanté de partout. Il m'a ramené dans la cellule vers minuit, par là. Et là, mes camarades m'ont réconforté bien sûr, parce que je n'étais pas tout seul dans la cellule. Nous étions, à l'époque, nous étions certainement cinq. D'ailleurs, la veille, nous étions sept. Ils en ont sorti deux qu'ils ont fusillé précisément le 21 septembre 1942, le premier jour où ont commencé mes interrogatoires. Ils en ont fusillé soixante dix, ici, à Mérignac, au camp de Souge. Ils en avaient pris cinquante au Fort du Hâ; ça nous le savions puisque vous savez, les nouvelles allaient très vite et ils en avaient pris une vingtaine d'autres à la caserne de Boudet et au camp de Mérignac. Ils en ont fusillé soixante dix le 21 septembre 1942. C'est pour ça que l'inspecteur Poinsot m'a dit (c'est lui qui m'a donné les premiers coups de nerf de bœuf), il m'a dit quand il a parlé: "parce que ce matin, on en a fusillé soixante dix". En fait ils n'avaient pas été fusillés le matin, ce n'est pas vrai. Ils n'ont été fusillés que l'après-midi. Alors moi, quand je suis rentré le premier jour de l'interrogatoire dans la cellule j'ai dit: "Ils en ont fusillé soixante dix". On m'a dit: "Non ils n'en ont pris que cinquante au fort du Hâ". Ca nous le savions. Mais ce que nous ne savions pas, c'est qu'ils en avaient pris vingt ailleurs. Voilà.


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