Mémoire d'un résistant déporté.

ENTRETIEN AVEC RENE DUPAU

Le 3 Novembre 1999 à Caudéran à 14 heures

Mémoire de Stéphanie Vignaud


Retour Ma Résistance Ma Déportation
1ère partie
Ma Déportation
2ème partie
Libération Le Retour


Le 20 janvier 1943, ils nous ont appelé pour nous raser. Ils avaient fait la même chose pour ceux qu'ils avaient fusillé à Souge le 21 septembre. Là, on a eu très peur parce qu'on a dit: "On va suivre certainement le même chemin". En fait, non. ils nous ont rasé, Ils nous ont remis dans la cellule et le lendemain, ils nous ont mis dans des trains ici à Bordeaux et nous avons gagné Compiègne. Mais nous sommes restés très peu de temps à Compiègne: nous sommes resté deux jours, je crois et nous sommes arrivés... Oui, puisque nous sommes partis le 23 janvier 1943 et nous sommes arrivés le 25 janvier 1943 au camp d'Oranienburg-Sachsenhausen. D'ailleurs, là, nous étions, je pense, une soixantaine dans le wagon à bestiaux bien sûr et nous avions avec nous un aveugle de la Guerre de 14-18 qui avait été rendu aveugle par les gaz ypérites. ils l'avaient arrêté quand même et ce pauvre malheureux, on ne l'a pas revu parce que quant ils ont ouvert les wagons, il y a un énergumène qui est entré et puis, à coup de bâtons, il nous a fait sortir (il ne faisait encore pas jour). Le pauvre diable est tombé la tête la première sur les rails qu'il y avait en face. On ne l'a pas revu. Je pense qu'ils l'ont achevé. Là, je ne sais pas, je ne sais pas.

Nous sommes arrivé le 25 janvier, c'est ça oui. Je crois ne pas me tromper. Alors là, c'était dramatique parce qu'avant d'arriver au camp, nous avons vu des jeunes habillés en rayé qui cassaient des cailloux sur le bord de la route parce qu'il y avait entre la gare et le camp environ un kilomètre de marche, mettons 1.200 mètres peut être. Quand on a vu ces bagnards, il y a quelqu'un qui a dit dans notre groupe: " Tiens, il y a des bagnards ici! " On a pensé que c'était des bagnards. Mais notre surprise a été totale quand nous sommes rentrés dans le camp parce que nous avons vu que tous les gens dans le camp étaient habillés comme ça. Et nous ne pensions pas que ça allait être notre tenue. Et quand on est entré, la première chose qu'on a vu : on a vu un garçon tout nu (c'était au mois de janvier , il faisait très très froid), tout nu et il avait ses vêtements à côté ( enfin ses vêtements, si on peut appeler ça des vêtements) et à ses pieds, à droite, je crois me rappeler, il y avait un rutabaga (une sorte de betterave) qu'il avait dû voler quelque part par là pour manger. Donc, c'était sa punition. Vers 10 heures de la journée, là, il est tombé et je pense qu'il a dû aller au four crématoire. Justement, on nous a dépouillé de tout. On nous a dépouillé de nos chevalières, ceux qui étaient mariés, de leurs alliances, des bijoux qu'on pouvait avoir, etc... Ils ont mis tout ça dans un sac et il y a quelqu'un qui a posé la question: " Quand c'est qu'on va récupérer nos affaires ? " L'interprète nous a dit :" Ici, on rentre par cette porte et on sort par la cheminée. " On a bien vu une cheminée dans le fond mais... D'ailleurs, on sentait une espèce d'odeur âcre qui sentait la chair grillée. Je ne pensais jamais que ça pouvait être des fours crématoires. Mais si. C'était quatre fours crématoires qui brûlaient sans arrêt jours et nuit.

Voilà... Dans notre camp, il est passé environ 180 000 ou 200 000 personnes. Il y en a 102.000 qui sont passés dans les fours crématoires, 102.000. Ca, c'est les chiffres officiels, officiels parce que quand le camp a été libéré, les Russes, qui ont libéré le camp, ont retrouvé sans doute la documentation ou les statistiques. Mais, il ne faut pas oublier qu'il y avait à l'intérieur du camp, du grand camp de Sachsenhausen, un autre camp lui même où étaient enfermés des soldats soviétiques, des soldats de l'armée russe qui eux ont été exterminés sans avoir été immatriculés. Or on ne sait pas combien il y a eu exactement de morts. On a parlé de 6 à 7.000 prisonniers de guerre soviétiques qui sont aussi passé par les fours crématoires. Alors, c'est difficile à savoir combien il en est morts. En plus, il y a eu l'évacuation tragique au moment de l'offensive russe sur Berlin. Les uns ont été évacués vers le sud, ça a été mon cas. Moi, j’ai été libéré en Tchécoslovaquie. Vous vous imaginez, depuis Berlin.

Hein ? Ca a été une marche de la mort terrible. Notre colonne, on est parti environ un millier (980, je crois). On a été libéré 162. Tous les autres sont morts sur la route. Alors, nous, on est parti vers le sud; mais la majeure partie , des kommandos et du camp central sont partis vers le nord et ils sont partis vers Schwerin, vers la Baltique, etc... Là, ça a été aussi dramatique; si on comptait tous les mors qu'il y a eu à la suite de cette déportation, issus du camp d'Oranienburg-8achsenhausen, je pense que ça peut avoisiner 140.000, ça ne m'étonnerait pas, peut être plus. On ne sait pas. Ca, c'est difficile à dire. Mais, au camp lui-même, officiellement, d'après les statistiques qui ont été trouvées par l'armée soviétique, il y en a 102.000 qui sont morts là.

En arrivant, nous avons été mis en quarantaine; ce qui veut dire qu'on nous a dépouillé de tout. On nous a donné deux numéros (c'était les mêmes numéros). Moi, j'avais le 58.496. Et il fallait en coudre un sur la veste ici, l'autre sur le pantalon. Nous étions devenus des numéros et il n'était plus question de répondre par notre nom, il fallait répondre par ce numéro en allemand. Quand un S.S passait, il fallait se mettre au garde-à-vous et s'il demandait notre numéro, il fallait le savoir par cœur. On y a été aidé quand même avec les détenus allemands parce que qu'il ne faut pas oublier que dans ce camp, avant qu'il y ait des français, des polonais, des ukrainiens, il y a eu d'abord des allemands qui ont été internés dans ce camps. Tous ceux qui étaient hostiles à ce régime, d'abord les communistes, ensuite ça a été les juifs, puis tous les opposants au régime nazi ont été internés. D'ailleurs, c'est spectaculaire parce que ce camp a été créé en 1933; moi, je suis arrivé donc en 1943. Vous voyez! Ca fait donc une dizaine d'années, 9 à 10 ans. J'ai vu le numéro 2 et le numéro 80 et quelques. Les autres étaient morts. C'est pour vous dire qu'il y en avait un qui avait résisté depuis dix ans ou deux. Même deux puisque je me rappelle avoir vu le numéro 2, un allemand. Nous avions une destination par nationalité ou par catégorie. Tout ce qui était politique, et nous étions considéré comme politique, même les allemands qui avaient été arrêtées pour opposition au régime nazi avaient le triangle rouge; par contre, il y avait aussi des triangles verts. Pourquoi des triangles verts? C’était des gens qui avaient été condamnés, des droits communs pour des crimes ou des délits, qui étaient allemands; la plupart était allemands d'ailleurs et c'étaient eux les cadres. Ils avaient pratiquement la liberté de vie ou de mort sur nos personnes. C'était les cadres. Parce que les S.S commandaient bien sûr et ils surveillaient tout mais ils avaient des cadres subalternes qui, eux, faisaient le sale travail. Voilà, c'était le cadre.

Là, j'ai été affecté d'abord... Je suis resté en quarantaine une dizaine de jours mais j'ai été affecté ensuite au kommando H.E.I. Heinkel, c'était les trois premières lettres des avions Heinkel. Ces avions, c'était des bi-moteurs, exactement c'était des quadri-moteurs à deux hélices seulement qui bombardaient Londres. Vous voyez, c'était des avions de bombardement qui étaient fabriqués dans ce kommando. Nous étions environ quand même 7.000 dans ce kommando. Pas tout de suite. Moi, quand je suis arrivé dans ce camp, j'ai été affecté au Baukommando. Le Baukommando, c'était un kommando à tout faire; c'est à dire, j'ai été d'abord utilisé pour agrandir le camp parce qu'il y avait besoin d'avions de plus en plus. La Luftwaffe avait besoin de plus en plus de flotte aérienne, ce qui fait qu'ils ont agrandi le camp. Nous passions des barbelés supérieurs en hauteur parce que tout le camp était électrifié autour. Ceux qui avaient le malheur de toucher le fil étaient électrocutés tout simplement. Ensuite, j'ai été affecté toujours dans ce même kommando aux déchargements de péniches sur un canal qu'il y avait pas loin: déchargement de sacs de ciments, déchargements des briques. C'était épouvantable. Par n'importe quel temps et tous les soirs ou presque, on ramenait des blessés ou les malades, mais aussi les morts parce qu'il fallait ramener les morts pour les comptabiliser à l'appelle soir. Alors là, j'ai pris peur, j'avoue. J'ai dit: " Mon tour va venir." alors, j'ai dit " ils peuvent me demander tout ce qu'ils veulent: s'ils ont besoin de curés, mais je me présenterai comme volontaire ".

Ensuite, au mois d'avril 43, ils ont demandé des électriciens de métier mais qui avaient au moins trois ans d'activités dans l'électricité. Moi, je connaissais rien à l’électricité, mais ils auraient pu demander n'importe quoi, je voulais sortir de ce kommando. C'était trop dur et d'ailleurs, je sentais que je faiblissais de plus en plus et un jour ou l'autre, j'y serais passé comme les autres. J'avais un camarade, un très bon camarade, et je lui ai dit:
" Sors, sors des rangs! "
" Mais t'as entendu 3 ans ".
Mais je lui ai dit: " Sors " et il n'a pas voulu sortir et ce camarade, malheureusement, est passé au four crématoire le 1er juillet de la même année. Vous voyez un peu à quoi ça tient! on est resté dans ce kommando et bien sûr, il a perdu ses forces.

Moi, le lendemain, j’ai dû répondre parce que l’interprète m' a dit:
" Combien de temps tu as fait de l'électricité ?
" J'ai dit:
" 4 ans ".
" Gut! "
Il a pris mon numéro et m'a dit: " Demain matin, tu devra répondre à l'appel du kommando d'électriciens."
Et au lieu d'être dehors, je me suis retrouvé à l’abri avec des schémas et des appareils de montage qui étaient montés ensuite sur des avions avec ensuite des câbles à couper à 30 cm, d'autres à Im50, etc... Bon, on avait des schémas, je n'y connaissais pas grand chose mais j'avais quelqu'un à côté qui m'a donné des éléments pour ne pas me tromper parce que ça passait au contrôle ça. Ensuite, j’ai été affecté à l'entretien du camp mais comme électricien dans tout le camp. Avec un brassard spécial, je pouvais aller n'importe où dans tout le camp. Je pouvais passer dès qu'on m'appelait pour, soit dépanner une machine, soit etc... J'ai eu la chance là de tomber avec un polonais. Je vous dis tout de suite, les polonais n' étaient pas aimés. Les ukrainiens non plus. Pourquoi ? Parce que ces déportés là qui étaient pourtant des déportés comme nous, pour une gamelle de soupe, ils auraient vendu n'importe qui. Moi, j'ai eu la chance de tomber avec un bon polonais et qui plus est, parlait de façon parfaite l'allemand, ce qui fait, je l'ai su bien longtemps après, qu'il faisait partie de l'organisation clandestine du camp. Moi, j'en faisais partie aussi et c'est peut être pour ça qu'il m'avait pris en amitié, qu'il m'a montré le travail qu' il fallait faire, comment on pouvait saboter une machine intelligemment sans se faire repérer et c'est ce que nous faisions. il m'a dit:
" Tu vois cette machine là, de 8 heures à 9 heures, il ne faut pas qu'elle marche et à 9 heures, tu viens réparer. Tu vois, tu as ça à faire. Et de 9 heures à 10 heures, c'est l'autre machine."

C'est comme ça qu'on faisait un sabotage intelligent. Mais j'avoue que c'est lui qui m'a initié là dedans. Oui. Voilà. Ca a été un camarade formidable, je ne sais pas hélas ce qu'il est devenu. Il avait mon adresse, j'avais la sienne mais personne n'a répondu. Moi, j'ai écrit mais je n'ai pas eu de réponse. Je ne sais s'il n'est pas mort. Je ne sais pas.

Et puis, justement, nous avons subi en plus un bombardement. Le camp de Heinkel se trouvait en plein milieu de l'usine. Ce qui fait que les Américains, quand ils ont voulu bombarder l'usine, ils ne se sont pas gênés. Au mois d'avril 1944, vous avez dû l'apprendre par ailleurs, on a subi un bombardement terrible. On eu quelque chose comme plus de 600 tués, beaucoup de blessés, beaucoup... C'est curieux, il y avait beaucoup plus de tués que de blessés. Ca a été épouvantable et on a eu quand même de la chance parce que la plupart des bombes est tombée sur le terrain d'appel, c'est à dire sur le lieu de rassemblement d'appel. L'usine a quand même été endommagée, mais très vite, il a fallu se remettre au travail pour la remettre en marche. Et je peux dire qu'un mois après, l'usine était à nouveau au travail, en marche comme avant.

Ca a été quelque chose d'épouvantable ça.



Top