André Castets

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ENTRETIEN AVEC ANDRE CASTETS.
le 16 novembre 1999
à Saint-Médard en Jalles
Mémoire de Stéphanie Vignaud

L'étudiante: «Apparteniez-vous à l'organisation clandestine du camp ?»

A.C: «Non. On ne peut pas dire que j'appartenais à l'organisation clandestine du camp. Mais j'étais en relation avec eux. Par contre, il y a eu Roumi, un gars qui a soi-disant collaboré. Il était dans ma colonne parce que c'était mon Vorarbeiter, c'est-à-dire mon chef d'équipe déporté mais qui ne s'occupe pas beaucoup de nous, c'était plutôt le Vorarbeiter, le chef d'équipe vert auquel d'ailleurs je dois la vie. On faisait quand même ce qu'on appelle de la «bidouille» : moi, je fabriquais - pas tout seul de toute façon - avec des chutes de bois de moulage qui est un contre-plaqué très très dur, on faisait, on limait des culots de pipe. On faisait des pipes. Alors, le culot, c'était façonner à la lime puisque moi j'étais ajusteur. Les embouts des tuyaux, c'était du Plexiglas parce que sur les avions, il y avait des antennes, des isolateurs d'antennes qui sont des bouts de Plexiglas ronds comme ça de cette longueur. Il y en avait qui se cassaient, on les cassait exprès. On faisait des tuyaux de pipes avec ça ou des fume-cigarettes, Donc, un jour, j'étais en train tranquillement de me limer un culot de pipe dans l'étau et le SS, responsable du hall, passe et il me voit en train de faire ça: «Waz ist das? (Qu'est-ce que c'est?» Alors là, je ne me souviens pas, Est-ce qu'il a commencé à sortir son pistolet, est-ce qu'il a.. parce que là, c'est sabotage, tout de suite. Ca, ils ne font pas d'hésitation. Alors là, tout de suite arrive le Vorarbeiter, le triangle vert, qui a dit: «Gutten Arbeiter(bon ouvrier)». L'autre, enfin, il l'a «baratiné».

En réalité, il y avait une certaine amitié, si on veut, avec ce Vorarbeiter triangle vert qui était un droit commun.

Pourquoi il était droit commun ? C'était un faux monnayeur. Ce n'était pas quelqu'un qui avait tué son père ou sa mère. C'était un faux monnayeur. Mais en plus, c'était un «sous-off» de la Kriegsmarine et comme moi j'étais dans la marine nationale française, il y a un petit clic qui s'est fait. Donc moi, j'ai été sauvé par ce gars là. Par contre, Roumi, ils l'ont accusé de tous les maux, moi je ne suis pas d'accord. J'ai discuté avec lui en tant que technicien, lui était technicien aussi d'aviation, il était un peu vantard. Moi, j'ai discuté avec lui de la mécanique, des «trucs»... Mais il était dans notre colonne. En réalité, ce qu'il faisait, comme il avait accès au bureau d'études et comme il était dessinateur aussi, technicien, un peu comme moi, au-dessus de moi. Moi, j'étais mécanicien de l'aéronautique, pas n'importe quoi. Ce qu'on peut reprocher à Roumi, moi, j'ai compté les améliorations qu'il a faites parce que... 17, il en a fait. Je les ai communiquées à Bergeron qui faisait partie de l'organisation de résistance du camp. Mais il y en avait un autre parce qu'eux, c'était les communistes. Et moi, l'organisation du camp, avant le bombardement et le chiffre des déportés qui sont morts au camp, ça c'est l'autre organisation. Moi, je sais que le gars qui travaillait à l'administration du camp, c'est François, un jeune belge qui avait tous les chiffres en main. Il allait de temps en temps travailler aussi au bureau d'études du hall où il travaillait au bureau de dessin. Quand vous avez un matériel que vous sortez, vous avez une modification à faire, vous êtes obligé de refaire un dessin après une petite étude ou une grosse étude suivant ce que c'est. Là, il allait travailler au bureau de dessin. Mais, ce Roumi, il allait dessiner ces «bricolos» dans ce bureau de dessin. Alors, moi, je pouvais communiquer ces «bricolos» à Bergeron. Mais, on avait aussi François qui était dessinateur et qui pouvait vérifier aussi les améliorations de Roumi parce que lui, Roumi, il venait faire ces croquis. Ses améliorations, ce n'était pas grand chose. Moi, je pense que c'était plus pour se vanter que collaborer.

C'est une pensée à moi. Je reste neutre. Alors bon, il l'a fait sciemment ou inconsciemment. Mais je pense qu'il l'a fait inconsciemment. Il a apporté des améliorations sous la forme de petits gabarits, de contrôles. Or quand on approfondit le système de largage qu'il a soit disant inventé, on s'aperçoit que c'est le même système dont on se sert pour remorquer un bateau. Vous avez un crochet à bascule sur le remorqueur. Ce crochet s'articule et verrouille par un anneau de sécurité commandé par une corde. Si vous tirez la corde, l'anneau libère le crochet qui bascule et libère l'amarre. C'est un système vieux comme Hérode. Alors ce qu'il a fait Roumi, il a miniaturisé cet accrochage et il a mis... il a accroché les bombes sur le Heinkel 177. A la place du «bout » pour libérer cet anneau qui va basculer, lui, il a mis un électro-aimant. Ca a la propriété d'attirer. L'association de cet électro-aimant avec ça, cela existe depuis Mathusalem, c'est l'association de ces deux systèmes qu'on a fait passer pour une invention de Roumi, alors que ce n'était pas une invention. Mais ils n'ont pas demandé aux techniciens. Il fallait le charger, c'est un collaborateur, il a dénoncé des communistes alors qu'il n'en avait rien à faire. Moi, j'ai discuté avec lui mais ils ne m'ont pas demandé à moi. Alors Roumi, il a été renvoyé en France et il a été fusillé dans les fossés de Vincennes. Mais moi, j'étais le seul mécanicien français qui était dans notre groupe. Il y avait un pilote de l'Aéronavale Yves Le Guyader et un horloger qui travaillait avec Lemaire, un radio de l'aviation française. C'était toujours avec un civil au «cul». Il ne faut pas croire qu'on faisait ce qu'on voulait. Mais quand même, il fallait voir comment les avions étaient fabriqués… Nous, on montait les portes de soute à bombes en position ouverte. Alors quand elles étaient refermées, elles n'étaient pas dans l'alignement [il dessine]. Mais sur l'avion, vous aviez la porte de la soute à bombes. Alors, vous savez ce qu'on faisait comme il y avait un bord qui dépassait un peu… on tapait à grands coups de maillet en bois et on avait un profil comme ça [il dessine]. Facilement comme ça. On avait rattrapé le truc. Et si les filets d'air arrivent comme ça, vous voyez un peu ce que ça fait! C'est des avions comme ça qu'on fabriquait. C'est pour ça qu'il y avait du rebut. Moi je le sais parce que je participais au hall 8 à la finition, on avait les chiffres par ce François: 28 étaient réceptionnés, 22 se cassaient la figure! Voilà .»

L'étudiante; « Après votre retour. est-ce que la réadaptation a été difficile à la vie civile ? »

A.C: «Ah oui. J'ai retrouvé ma mère et mon père. On était séparé mais je voyais toujours mon père. Il y avait mon frère aussi. Les commerçants du village, le boulanger, le boucher, ils ont donné de quoi manger. Il n'y pas de problèmes. Ils sont morts tous ces gens là. Après le Maire quand même est venu me chercher un jour et il m'a porté à la préfecture d'Auch, à l'hôpital militaire parce qu'il avait dû recevoir des instructions. Donc, j'ai passé une visite médicale complète. C'est d'ailleurs là que le commandant de l'hôpital militaire... j'ai reçu une convocation pour aller faire mon régiment parce que je n'avais pas fait mon régiment puisque j'étais IVème contingent classe 40. J'étais convoqué pour aller faire à Toulouse un an, deux ans, je n'en sais rien... Donc, ils ne savaient pas que j'étais engagé en 1941 dans la marine. Alors le commandant de l'hôpital, le commandant militaire, il m'a fait appeler. Je lui ai expliqué mon «topo». D'ailleurs lui, il savait que j'étais dans son hôpital pour passer des visites à la suite de ma déportation. Alors, il a fait une démarche et à la suite, je n'ai plus entendu parler de rien! Ensuite, je suis rentré chez moi et je suis allé en maison de repos, trois ou quatre mois dans le Gers. Il y avait des vieux châteaux. D'ailleurs, c'était le château, je crois, d'un collaborateur. On lui a piqué le château puis on a mis les déportés dedans, trois-quatre mois à Nogaro - Bas Armagnac. On boit de l'armagnac là mais ce n'est pas avec ça que je me suis «retapé» ! Ensuite, j'ai traîné un peu chez moi. Et un garagiste du coin me dit: «Je vais te prendre chez moi pour te rééduquer». Alors, j'ai travaillé chez lui jusqu'en 1947, un an ou un peu plus. Mais il n'a pas voulu me garder parce qu'il fallait qu'il paye les assurances sociales, c'était devenu obligatoire. Donc avec deux autres copains du village, il y en avait un qui était déjà à Paris, mais pas l'autre, on est monté tous les trois à Paris: les provinciaux à l'assaut de Paris!

Alors moi, comme j' avais un brevet de mécanicien de l'Aéronautique, des certificats de travail de mécanicien garagiste, je n'ai pas cherché longtemps pour travailler à Paris. A Paris, j'en ai eu marre du premier patron. Je suis parti. J'étais chez le premier chef d'atelier de Gordini. Gordini, c'est les voitures de compétition. J'étais motoriste chez lui. C'est moi qui remontais les moteurs. Et puis, un beau jour, il s'était associé ce gars là avec un banquier, un électricien, ils avaient formé un petit «pool». Ils ont fait des mauvaises affaires. Ca n'a pas marché. Donc, ils se sont séparés. Mais moi je suis resté là. Après, ça a été pris sous tutelle par un syndic de liquidation, un notaire, un gérant officiel. C'est là qu'un jour, il y a un monsieur qui vient et qui me dit: « Mais que faites-vous là ? » Je faisais un peu tout: un coup de peinture ici, je refaisais un moteur, tout quoi... Sur Paris, ils ne trouvaient pas ça: quelqu'un de polyvalent. Alors, il me dit: « Je vous amène avec moi à la colonie ». Quand je suis arrivé là-bas, j'étais sous l'équateur. C'est moite, c'est infernal parce qu'il faut travailler en même temps. Parce que rien qu'à vous asseoir, vous suez alors en travaillant! Je ne suis pas fainéant et j'ai travaillé. Je suis resté pendant douze ans. Quand j'ai eu fini le contrat dans cette boîte, il y a tous les forestiers du coin - parce que le Gabon, c'est forestier - ne trouvant pas de mécanicien adéquat, ils m'ont mis le «grappin » dessus en faisant un peu de surenchère. Donc je me suis retrouvé deux ans en pleine brousse avec un atelier du tonnerre mais en pleine brousse, avec des singes partout [rires]. Après, je suis rentré en France et je suis reparti en Arabie Saoudite, comme spécialiste Caterpillar. J'ai trouvé ce contrat. Je ne suis pas resté longtemps là-bas. Ma femme était restée à Paris. On m'a envoyé un télégramme du Gabon pour voir si je pouvais y revenir. Alors je suis reparti en Afrique, au Gabon.»

L'étudiante: «Avez-vous adhéré tout de suite à l'association « Sachso » qui fut créée après la guerre?»

u>A.C:« Non. J'ai dû y adhérer quand je suis rentré en 1961-1962 par-là. J'ai adhéré aussi à la F.N.D.I.R.P. alors que moi, je ne suis pas du tout communiste! J'étais poussé par les copains qui eux étaient communistes. »

L'étudiante: «Donc, vous faites partie des deux associations?»

A.C: « Non, je fais partie de l'Amicale Sachso, mais je fais aussi partie de la FNDIRP alors que je ne devrais faire partie que de la FNDIR, j'ai laissé courir. Alors, j'y vais quand ils me convoquent. A la F.N.D.I.R.P., je n'y vais pas. Je ne vais qu'à l'Amicale. Non, la Fédération, c'est politisé. L'Amicale, ce n'est pas politisé. »

L'étudiante: «Et que représente pour vous l'Amicale de « Sachso »?»

A.C: «Ah ! On retrouve toujours les copains. On les compte parce qu'il y en a beaucoup qui sont morts. Même si on n'est pas du même bord politique, enfin, moi, je suis neutre mais ça ne fait rien, je discute avec tout le monde. On se voit une fois ou peut-être deux fois par an. Mais la FNDIRP je ne suis pas d'accord.»

L'étudiante: «Alors, j'aurais juste une dernière question. Quel message voulez-vous que je fasse passer, moi, dans mon mémoire ?»

A.C: «J'ai pas tellement de message. Mais je voudrais que vous essayiez de trouver la vérité et de faire accepter la vérité.»

L'étudiante: «Merci.»