André Castets

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ENTRETIEN AVEC ANDRE CASTETS.
le 16 novembre 1999
à Saint-Médard en Jalles
Mémoire de Stéphanie Vignaud

Attendez, après la Belgique, il y a eu le passage à la frontière que j'ai oublié! C'était à Hazbruck, à 25 ou 30 kilomètres de Lille. Il y avait un truc... de triage, une sorte de triage parce qu'ils ont retrouvé même des SS qui essayaient de passer là. Vous savez que les SS ils étaient tous tatoués sous le bras. Les SS étaient repérés comme ça. En gare de Hazbruck, ils nous passaient tous une sorte de visite médicale. Moi, je me souviens: je pesais 62 kilos. Mais ça fait 20 ou 25 jours que j'étais libre, que je mangeais. Alors je pense que moi... mais c'est par déduction... quand je me suis évadé de la colonne à quatre pattes, je ne pouvais plus «arquer », marcher debout, je pense que je devais faire dans les 35 à 45 kilos, pas plus, parce que rattraper une dizaine de kilos ou peut être 15, je ne sais pas, en l'espace de 20-25 jours, il fallait que j'assimile vachement... mais c'est parce que moi j’avais passé deux ans. Mon copain, il n'avait passé qu'un an. Ah mais lui ! J'ai une anecdote sur lui (il va mourir parce qu'il a un cancer des os, c'est sûr). On avait piqué des vélos et il a revendu son vélo qu'il a rechangé contre une montre. Alors lui, il avait trouvé une femme comme ça et, en sortant, il voulait aller coucher! Il a la santé celui-là! [rires] Il faut voir après les histoires qu'il a eues avec les femmes et tout ça ! Mais c'est parce qu'il était porté sur la question. Mais quand même là! Il était costaud, il «bouffait» plus que moi, il reprenait plus vite parce qu'il avait moins «dérouillé» que moi. Vous savez la différence entre un an et deux ans de présence à ce rythme là ! Je pesais 62 kilos.

Après c'est le passage à côté de Paris parce que je n'ai pas voulu passer à Paris. Bordeaux, réception à Bordeaux à la gare par des enfants avec des bouquets de fleurs et tout çà, et puis après, chez moi. Chez moi, quand je suis descendu, je n’avais pas l’air «con» avec... Je me souviens quand je suis descendu, j’avais une casquette orange avec une petite visière noire, c’était une casquette d’étudiant. Et puis, j’avais une canne, c’était un parapluie auquel j’avais sorti toutes les baleines. avec le milieu. le tube central et puis je suis sorti comme ça [rires ]. Ils sont allés chercher ma mère là. Et ben dis donc: Ca c'est des trucs ! Il y a une dame qui se rappelle de moi, elle a 85 ou 86 ans. Non, elle a 89 ans. Elle me dit: « André, je me rappelle quand tu es descendu ! [rires ] On aurait dit un petit vieux de 70 ans à 25 ans ! 24 ans! J'allais faire mes 25 ans en novembre! Après je suis resté plus d'un an comme ça à traîner, à «bouffer«. J'étais en cure de rétablissement dans un château qu'ils avaient dans le Gers pour les déportés. On est allé se «requinquer » un peu là. Après, il a fallu retrouver du boulot. Et moi, j'ai retrouvé du boulot. Je suis remonté sur Paris pour travailler. Il y a des gens qui m'ont vu travailler, ils m'ont dit: «Mais qu'est-ce que vous faites là ? On vous amène à la colonie». Et je suis resté en colonie 12 ans au Gabon, sous l'équateur, parce que j'étais bien content de partir parce que j'avais trop froid dans les ateliers, j'avais «dérouillé» du froid là-bas. Ca a été jusqu'à -28°C là-bas, -28°C on a eu l'hiver 1943-1944. Et donc, je suis parti. Je ne me suis occupé de rien. Alors, je suis rentré une fois en 1953, je crois. J'avais contacté des collègues, des copains de Paris parce que j'habitais Paris à l'époque. Ils m'ont dit: «Il faut te faire des papiers parce qu'il faut te faire porter… invalide, passer devant la commission et tout ça... ». Mais moi, je suis reparti au boulot. Je ne me suis occupé que de prendre... que de me faire pensionner et tout ça en 1961-1962. Je suis resté toute cette époque là… Ils m'ont dit: « Mais, tu es bête! Il faut que tu fasses des démarches! Tu as perdu une maison! » Oui. Il y en a qui sont bien! Alors j'ai fait le truc comme tout le monde. Mais j'ai une pension militaire. Il est vrai que le fait de traverser la frontière espagnole et de vouloir regagner les FFL, c'est un acte de résistance. C'est ce qu'on m'a dit à l'époque. Alors moi, il découle de ça, j'ai la médaille du combattant de la résistance, la croix de guerre, la médaille militaire, la croix des déportés aussi. J'ai droit à la légion d'honneur, mais je ne le fais pas parce qu'il la donne à n'importe qui. Moi, je ne suis pas n'importe qui. C'est des trucs pour des machins militaires. Moi, je ne suis pas d'accord donc je n'en veux pas. Donc, je ne la demande pas parce que je peux la demander. C'est à peu près tout le parcours que j'ai fait. La colonie, j'y ai passé 12 ans ? Je ne me suis pas occupé pour être pensionné. J'ai passé... je suis parti en 1949 et je suis rentré en 1961. Donc de 1945 à 1949, ça fait quatre ans. De 1949 à 1961, ça fait 12 ans. Ca fait 16 ans que je n'ai pas fait de démarche parce que pour moi, je n'avais pas fait grand chose. Mais, je m'étais fait «baiser la gueule» comme on dit vulgairement. Donc je ne vais pas... Moi, je trouve ça un peu inacceptable. Les gens, ils se font avoir, ils se font faire prisonniers, déportés et tout ça. Il faut leur donner des compensations. Je ne suis pas d'accord moi. Pour moi, ils n'ont droit à rien.

Il ne fallait pas se faire attraper! Le raisonnement normal! Mais là, ce n'est plus normal. Donc ce qui est normal, c'est de se faire pensionner parce qu'on a été déporté ! C'est comme ça. Moi, je «mange la même soupe» que les autres maintenant. Voilà.»

L'étudiante: «J'ai oublié de vous demander quelle était la profession de vos parents.»

A.C - «Agriculteurs.»

L'étudiante: «Donc, quand vous êtes revenu du camp, vous êtes allé chez vos parents ? »

A.C - « Oui, oui. Chez ma mère. I1s étaient divorcés. Enfin, bon, mon père était dans le même patelin. Il était à Gondrin aussi. Je suis revenu chez ma mère. Mais on habitait une maison... On était encore dans la pauvreté. Parce que moi, avant de me faire arrêter, d'être dans la marine et tout ça, ma mère, elle vivait pauvrement, il y avait, moi je peux vous dire que chez moi, il n'y avait pas de vitres aux fenêtres, c'était des sacs aux fenêtres! Et quand je vois maintenant les gens, il faut tout leur donner ! Moi, on n'est jamais allé à la mairie. Ma mère, elle n'est jamais allée à la mairie pour demander un sou. Elle a toujours travaillé pour se faire un jardin, pour se faire des légumes. Elle s'est fait un troupeau de chèvres, elle a gardé des chèvres, elle a vendu des chèvres, des chevreaux, elle a fait du fromage, elle a vendu son fromage. Elle a vécu très chichement, très pauvrement et elle ne doit rien à personne. Et moi, c'est pareil. Parce que moi. le vous l'ai dit au départ, je n'ai jamais été syndiqué, ni dans un parti politique. Je dis bonjour aux communistes, aux socialistes, à n' importe qui, ça m'est égal. Et la religion, alors là... J'ai été baptisé, la communion, ça oui. Mais après... Moi, je dis: «s'il y avait un bon dieu, il n'aurait pas permis tout ça quand même! alors le bon dieu n'existe pas. Le bon dieu, je me le fais tout seul. Le boulot, je me le trouve tout seul. Moi, le syndicat, je me le fais tout seul aussi. Je leur dis aux gars. Quand je ne suis pas content d'un patron, c'est moi qui ne suis pas content du patron, c'est moi qui vais en trouver un autre! Pourquoi je fais ça ? parce que je suis qualifié, je connais bien mon métier. »