André Castets

Retour Page n°1 Page n°2 Page n°3 Page n°4 Page n°5 Page n°6 Page n°7 Page n°8


ENTRETIEN AVEC ANDRE CASTETS.
le 16 novembre 1999
à Saint-Médard en Jalles
Mémoire de Stéphanie Vignaud

Ce n'était pas des douaniers, mais des Feldgendarmes. ils nous ont arrêtés, on était 24 à 25 dans ces goûts là. Après ça y est. C'est la citadelle Saint Jean Pied de Port, 15 jours ; la caserne Boudet à Bordeaux, vous avez dû en entendre parler ; ensuite, Compiègne. Alors, voulez, il y a des séjours: 15 jours ici, 15 jours à Compiègne, 15 jours à Saint Jean Pied de Port. Et c'est le 10 mai ou le 8 mai 1943. Euh ! non... Ah oui ! Le jour de l'arrestation, c'est le 14 mars 1943, ça c'est indéniable. Il n'y aucun problème là. Et donc on nous a ramené à Saint Jean on devait être dans la forêt de, je ne sais pas où... peut être d'Irraty. Je ne sais pas. il faudrait voir sur une carte des Pyrénées. Je n'ai rien préparé. Je vous le dis de mémoire parce que ça marque. J'aime autant vous dire que je m'en rappellerai longtemps. Je crois que si meurs à 100 ans, dans 20 ans, je m'en rappellerai encore. Bon après, c'est le camp de concentration.

On a embarqué le 6 peut être le 8 mai 1843, un truc comme ça. On a dû passer deux jours les wagons. On était peut être 70, 80, je n'en sais rien quoi, avec l'aise qu'on pouvait avoir dans les wagons. Et puis, c'est la surprise qu'on pouvait avoir! On nous avait dit, là je reviens un petit peu, on nous avait dit qu'on allait travailler en Allemagne. Bon. Alors moi, si vous voulez, petit en arrière. J'ai dit: bon, comme je les ai «baisés» pour ne pas partir en Allemagne en tant que requis civil et tomber sous le coup du STO (aussi, il n'était pas question que je parte au STO alors que je pouvais rentrer en Afrique du Nord) et que j'avais ma... comment dirais-je, mon unité là-bas, enfin ma base aéronavale là-bas à Port Liautey au Maroc. Enfin, ce n'était pas Port Liautey, c' était Kénitra. .., enfin avant, ça s'appelait Port Liautey. Alors après, ça suit. Ca suit deux jours. Alors le camp. On reste en quarantaine, je ne sais pas. Je n'ai jamais su combien. Je crois qu'on est resté 10 jours, 20 jours. Je n'en sais rien. Je me suis retrouvé à Heinkel. Pourquoi Heinkel ? Parce qu'ils m'avaient piqué... Vous pensez que je n'avais pas de carte d'identité française sur moi. J'avais une carte d'identité de la marine. Elle était française. C'était la carte d'identité de la marine nationale avec la spécialité : mécanicien de l' aéronautique. Ce qui fait en Allemagne: Mechaniker Aeronotische Kriegs Marine. Vous vous rendez compte la «tartine ». Mais là, ils n'étaient pas trop «cons» les Allemands. Ils n'allaient pas «foutre» un cuisinier en train de fabriquer des avions. Enfin, ils l'ont peut être fait. Je n'en sais rien. Dans tous les cas, ils ne s'étaient pas trompés.

Je suis resté deux ans au Kommando Heinkel. Alors je ne sais pas si vous avez une carte du camp, si vous avez le nombre de Kommandos. Vous devez avoir .. Est-ce que vous avez une photo du plan du Kommando. J'ai une photo que tout le monde a parce que c'est un collègue géomètre qui a fait la relève du Kommando Heinkel. n avait fait un relevé topographique à la libération du Kommando. Ce kommando, j'y suis resté deux ans. Et puis, les péripéties dans le Kommando... Tout ça, c'est très monotone dans le fond parce que vous faites le boulot. Vous aviez des avions à fabriquer. Tout le monde faisait du sabotage avec plus ou moins de professionnalisme, évidemment. Parce que vous avez des gens qui ne sont pas professionnels du tout. Alors qu'est-ce qu'ils font ? Ils sabotent oui ! On fait de la résistance passive. C'est au lieu de faire un boulot en une heure, on en met trois. C'est ça le sabotage, Mais, quand vous êtes technicien de l'aéronautique, ce que l'on était (j’en ai compté trois, moi dans les Français ). Parce qu'on était combien de nationalités là-bas ? 17 ou 18. Alors bon, on a fait des petits sabotages parce que, bon, vu à l'intérieur, vu où on était, le moindre sabotage, ça représentait un gros sabotage. En réalité, quand on revoit ici à l'échelon civil, qu'on est en liberté, c'est pas grand chose. Mais, pour nous, c'était quand même quelque chose. Parce que quand même, je ne sais pas si les autres gens de Heinkel ont pu vous le dire, mais sur 50 avions qu'on pouvait sortir, il y en avait 28 qui étaient réceptionnés, il y en avait 22 qui se «cassaient la gueule». Ca, les grands discoureurs, ils ne sont pas techniciens et il n'y pas de grands techniciens que je connaisse qui ont travaillés sur le Heinkel et qui ont qualité pour faire ce genre de travail. On noie le petit «ouvrier» ...Bien sûr; tout le monde a saboté. Mais il y a des sabotages qui sont plus importants que d'autres.

Bon alors, maintenant 55 ans après, hein ? C'est ça l'histoire. Bon alors après, c'est toujours le travail, toujours le travail, jusqu'au 18 avril 1944, jour du bombardement. A ce sujet, j'ai discuté l'autre jour avec un collègue. Alors je ne suis pas d'accord avec le chiffre des morts qu'ils ont donnés. Je ne suis pas d'accord. Moi, je n'ai pas bougé de là. Eux, ils ont fait des allées venues. Ils ont dit 700 morts. J'ai dis: «niet !».Je ne l'ai pas écrit, pas du tout. C'est dans ma tête. Je revois le truc. Mois, je dis 370. Et c'était organisé aussi pour «foutre» tous les triangles verts en l'air. Les triangles verts, c'était les déportés de droit commun. Alors, avant le bombardement du 18 avril 1944, c'était tout mélangé si vous voulez. On a changé de commandant S.S.. Il est arrivé un «type» à monocle et tout ça. J'ai dit: «celui-là...», mais, ça c'est chuchoté qu'il était de l'Intelligence Service. Alors, ce commandant là, il a réorganisé le camp, toutes les affectations des dortoirs et tout ça. Il a mis tous les triangles verts dans un seul block. On appelle ça un block, un block dortoir. Et le jour du bombardement moi, mon block (moi je suis au block 8) il y a une bombe qui traverse la toiture puis le plancher en béton. Alors moi, je n'ai pas été tué parce que je venais de discuter avec un gars : Supervielle, qui a été tué. Moi, je reviens dans mon coin et paf! Vous savez, c'était des châlits, c'était des... 4 pieds comme ça, avec du chevron de 8 x 8 et puis il y avait trois couchettes accrochées. Donc, j'ai pris un coup avec le pied du châlit comme ça (il mime le geste), sur mon fémur gauche. Alors, j'ai boité mais ce n'était qu'une fêlure. Comme preuve, j'ai un cal osseux si vous voulez, c'est pour dire quoi. Alors, je suis resté boiteux comme ça. Alors ensuite, attendez, on revient. Parce que ça c'est un épisode. Alors le block 8 était là comme ça [il fait un dessin], mais dans la continuité, il n'y a eu qu'une bombe sur le block. Mais dans la continuité, vous aviez le block des triangles verts qui a été bombardé. Il y a eu un chapelet qui est tombé dessus parce que c'était des chapelets de cinq bombes qui tombaient. Certains voulaient faire ressortir que c'était les Américains. En réalité, ce n'était pas les Américains qui ont bombardé, ce sont les anglo-canadiens avec un bombardement à basse altitude. Parce que les Américains bombardaient à haute altitude avec des forteresses volantes c'est-à-dire des avions quadrimoteurs qui emportaient 5 tonnes de bombe. Voilà. Ils ne bombardaient pas à basse altitude. Alors, c'était d'autres types d'avions, c'est pareil. On me pose la question 55 ans après. Moi, je pense que j'ai dû retrouver les types d'avions parce que j'ai dû chercher: j'ai pas mal de bouquins sur l'avion et tout ça, pour voir avec quels avions ils ont dû bombarder les anglo-canadiens, pas les Américains. Ils ont bombardé parce que les américains, ils ont bombardé avec des bombes de... je ne me rappelle plus... des bombes de 100 livres quelque chose comme ça. Des bombes de 100 livres si vous voulez. Tandis que là, moi je me souviens parque la coupe d'un dortoir [il dessine]. J'ai vu un trou comme ça (il montre la dimension). En élévation, on avait la zone d'un châlit et la zone démolie, c'était ça [il dessine]. Tout ça, c'était resté. Ca n'a détruit qu'un quart, un tiers, dans ces proportions là, vous voyez.