Biographie.
Résistants honorés.
Dupuis Jacques.




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Eloge prononcée par M. Guy Chataigné, compagnon de déportation
lors de la remise de la Croix de Chevalier de la Légion d'Honneur à Jacques Dupuis.

Jacques est libre. Mais la notion de liberté, à ce stade-là, n'est que très relative, bien intemporelle et ne risque pas de susciter de mouvement de joie.

Peut-être faut-il s'interroger sur les raisons pour lesquelles des dizaines de milliers de détenus furent ainsi dirigés vers la Baltique. La raison est tout simplement monstrueuse.

Au fond de la baie de Lübeck, à quelques soixante kilomètres de Schwerin, soit deux jours de marche, se situe l'importante base navale de Neustadt. En rade, de nombreux bateaux de guerre, bateaux de surface, transports de troupes, sous-marins. Nous sommes le 3 mai; les S.S, qui savent que les Anglais vont arriver dans les heures qui suivent, sont résolus à faire disparaître les déportés qu'ils détiennent et qui proviennent pour la plupart du camp de Neuengamme. Huit à neuf mille hommes vont être chargés à bord des bateaux "Cap Arcona", "Athen", "Deutschland" et le "Thielbek". Ces navires sont tout naturellement désignés comme cibles aux forces aériennes alliées qui n'ont pu être averties de la criminelle entreprise des nazis. C'est ainsi que vont périr des milliers d'êtres humains dans les eaux glacées de la Baltique, alors que les libérateurs atteignent les rives de la rade tragique. Aujourd'hui, le long de la baie de Lübeck, quatorze cimetières contiennent les restes de 7.000 camarades, 1.000 autres dorment à tout jamais au fond de la rade.

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Et la destination qui était programmée pour tous ceux de Sachsenhausen, comme à bon nombre des femmes du camp de Ravensbrück, c'était la baie de Lübeck, c'était la mort par surprise. Jacques Dupuis n'en peut plus; il est atteint d'une dysenterie qui sera calmée grâce aux soins des prisonniers de guerre. Cependant, les choses se restaurent. La voie est libre: caserne Adolphe Hitler, à Schwerin, où des milliers de déportés sont déjà regroupés, puis le camp de Luneburg, camp d'aviation d'où il sera transporté en avril jusqu'en Hollande à Hazebrouck, dans le Nord, où Jacques va déposer ses 39 kilos, le 21 mai 1945.

Jusqu'en novembre, il sera tenu d'observer une convalescence sous strict contrôle médical. La vie reprend ses droits. Il va, comme tout à chacun, avoir une vie professionnelle qu'il tiendra sans aucune interruption jusqu'à son départ à la retraite, le 1 er mai 1983.

Il fonde un foyer, en 1949, et tire une très légitime satisfaction de la situation que ses deux enfants se créent sur le plan professionnel.

Jacques Dupuis, parce qu'il est resté et restera toujours fidèle à ses engagements, à sa lutte passée, à la mémoire de ses camarades morts dans les camps, prend rapidement place dans la vie du monde combattant.,

Pendant vingt ans, il sera le secrétaire départemental, ici, en Gironde, de l'Organisation Civile et Militaire (O.C.M.).

Qui plus est, en 1950, il sera nommé, par arrêté ministériel, membre de la Commission des Déportés et Internés Résistants. Il en est d'ailleurs devenu le membre le plus assidu et, sans doute, incontournable. C'est dire que vos cartes, mes chers camarades de la Gironde, ont donné lieu, avant leur attribution, à l'examen de votre dossier par Jacques Dupuis et ses camarades de commission.

On s'interroge, tout naturellement, sur les raisons qui ont pu entraîner un retard aussi insupportable pour distinguer un garçon d'une telle valeur à qui la Médaille Militaire - il y a plus de 44 ans - a été remise avec attribution de la Croix de Guerre avec palme, en raison directe de ses mérites de Combattant Résistant et de Déporté.

On s'interroge sur les raisons qui ont pu faire que la Croix de Chevalier de la Légion d'Honneur ne lui soit remise que maintenant.

Je crois qu'il faut le dire sans aucun ressentiment. C'est un constat et d'autres, bien d'autres ont été victimes d'une telle situation. Alors que les mérites sont indubitablement reconnus, et au plus haut niveau, l'attribution des insignes de la Légion d'Honneur ou, plus exactement, l'admission dans l'Ordre de la Légion d'Honneur est subordonnée à une enquête, dite administrative et dont chacun s'accordera à considérer qu'elle est plutôt une enquête politique. Au gré des changements de majorité, il se trouve que ces enquêtes donnent des résultats qui paraîssent défavorables s'ils ne sont pas conformes au goût du prince du moment.

L'Administration sait être têtue, même dans ses positions les plus injustes. On ne refuse pas; on ajourne encore. C'est ainsi que Jacques a fait l'objet de deux ajournements, si ce n'est trois.

L'injustice est réparée. D'ailleurs, disons-le très honnêtement - je vais dire cela sous son contrôle - Jacques n'en a pas perdu le sommeil et cela n'a pas altéré sa gourmandise pour les choses de la vie. Tu peux sourire. D'ailleurs, il n'y a nul paradoxe à ce qu'un être, qui a connu le fond de la douleur et dont le coeur est un véritable cimetière, ait laissé resurgir, une fois libre, les aspirations qu'il avait dû contenir dans la nuit des prisons et des camps.

Jacques Dupuis est donc honoré, aujourd'hui, comme il se doit.

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