Biographie.
Résistants honorés.
Dupuis Jacques.




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Présentation. Résistance Déportation. L'enfer. Marche de
la mort.
Retour à la vie.

Eloge prononcée par M. Guy Chataigné, compagnon de déportation
lors de la remise de la Croix de Chevalier de la Légion d'Honneur à Jacques Dupuis.

En juillet 1944, les choses prennent une nouvelle dimension. Le camp est encerclé par les Allemands, armés comme ils étaient capables de l'être, accompagnés de leurs chiens. Le camp est vidé. Les détenus sont amenés à la petite gare de Saint-Sulpice-la-Pointe où, sous le soleil, des wagons en fer et en bois les attendent sur une voie de garage. Et là, va véritablement commencer le calvaire. Ils partent, ils partent sans connaître, naturellement, leur destination, en un voyage chaotique, indécis, entrecoupé. Tout de suite, ils sont saisis par cette chaleur; tout de suite, ils connaissent la soif. Rapidement, les wagons, où cent à cent vingt personnes sont entassées, vont être d'une pestilence insoutenable. Il n'y a qu'une seule tinette qui va vite déborder. A Toulouse-Matabiau, ce sont les prisonniers de la prison Saint-Michel qui ajoutent à la promiscuité. Et le convoi reprend son chemin et la soif empire. On ne parle pas de manger. Les arrêts ne consistent qu'à recevoir de nouveaux détenus. C'est le cas à Montpellier où leur échoient de nouveaux compagnons en provenance de la Centrale. Ils cheminent encore, ils ne comptent plus les jours. Ils se retrouvent à Marseille-Sant-Charles, gare en cul-de-sac qui ne mène nulle part. Et effectivement, le convoi retourne. Ils reprennent leur sale route, arrivent en Arles, puis en Avignon, face à la vallée du Rhône. Mais les choses ont déjà pris une autre tournure. Les plans bleu et rouge, appliqués par la Résistance Intérieure Française, en relation avec les Alliés dont la progression se poursuit en Normandie, sont tels que les voies sont désorganisées, le matériel ferroviaire est saboté, les viaducs atteints. Et le transport est ralenti. Et le supplice de la soif empire encore. Ce supplice des supplices que tous nos camarades ont connu à un moment ou à un autre. Ce supplice qui supplante et fait oublier la faim et tous les autres maux. Cette soif qui incendie la gorge et les poumons, qui révulse les yeux; cette soif qui affole.

Et ils remontent, en un voyage toujours aussi chaotique, cette vallée du Rhône. A Lyon Perrache, les portes s'ouvrent et ils descendent. Ils sont invités à faire une frustre toilette à même les quais, alors que les civils sont tenus à l'écart par une barrière d'Allemands en armes. Là, ils boivent plus qu'ils ne se lavent. Le temps leur est compté; une demi-heure plus tard, il faut sous les coups et sous les cris remonter dans les wagons. Et le train redémarre pour s'arrêter bientôt et repartir. Ils ignorent toujours ce qu'est leur destination. Ils se retrouvent en Haute-Marne car ils peuvent parfois discerner quelques plaques au travers des planches disjointes des wagons ou par le minuscule fenestron barré de fils de fer barbelés où l'on tente, tant bien que mal, de se relayer pour prendre un peu d'air. Ils sont dans un noeud ferroviaire où ils subissent un bombardement. La soif empire toujours, mais il n'est plus possible de fixer une gradation dans ce supplice au niveau qu'il a désormais atteint. Et la marche se poursuit. Une nuit, ils se savent en Allemagne, car ils lisent le nom de "MAIENZ" (Mayence) par un interstice. Et les morts et les vivants cohabitent dans ces wagons, sur les rails d'une ligne apparemment sans destination. Et pourtant, la destination, le 6 août; ils sont à Buchenwald, Buchenwald, un nom nouveau pour eux. C'est l'un des premiers grands camps créés par les nazis, qui a été ouvert en juillet 1937 à l'usage des antifascistes, des opposants au régime, allemands d'abord, puis autrichiens et tchèques. Ce camp va devenir rapidement tentaculaire, avec 132 commandos extérieurs. Deux cent cinquante mille détenus de 20 nationalités vont y passer et y seront immatriculées. Quatre vingt mille vont y mourir. Trente mille Français seront déportés à Buchenwald. Plus de la moitié y mourront.

Jacques Dupuis et ses compagnons franchissent la porte du camp, porte en fer forgé sur laquelle les lettres, d'une devise à l'humour typiquement nazi, se détachent: "Jedem das seine." ("A chacun son dû").

Jacques, comme ses
camarades, est dépouillé de ses vêtements, des menus objets qui pourraient le rattacher encore à sa vie passée, à sa famille, à ce qui lui est cher. Il est tondu, rasé jusqu'à la chair, aspergé de Crésyl. Puis, doté de la défroque rayée des déportés que tous mes compagnons, ici, ont porté. Il n'est plus que le numéro 69.818; un matricule qu'il doit immédiatement s'appliquer à reconnaître en Allemand, sous peine de recevoir des coups dont le premier peut être fatal.

Il est devenu un condamné à mort ordinaire. Il n'en a pas encore pris conscience, ses camarades non plus. Car, la veille, à leur arrivée au camp, ils n'ont pas pris, n'ont pas pu prendre la mesure de ce qu'était le système concentrationnaire nazi. Ces ombres vêtues de rayés, qui se meuvent alentour, grimaçantes, gémissantes, leur paraissent appartenir à un autre monde qu'ils n'ont pas de raison de rejoindre. Ce sera cependant et rapidement la condition qui leur sera imposée.

Jacques Dupuis passe sa quarantaine au petit camp, au bloc 52. La quarantaine, c'est la période de sauvagerie à l'état pur, où les violences, les tortures alternent avec les hurlements, une période dont le seul but est de ravaler la personnalité et d'annihiler, en tant que de besoin, toute velléité de résistance.

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