André Castets

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ENTRETIEN AVEC ANDRE CASTETS.
le 16 novembre 1999
à Saint-Médard en Jalles
Mémoire de Stéphanie Vignaud

Donc, tous les matins, elle se levait de bonne heure, elle partait se cacher dans des groseilliers. Ca fait comme une espèce de massif, un groseillier, alors au milieu de tout ça, elle restait toute la journée. Alors après, bon, quand moi j'étais «retapé», on a dit: «bon, on revient en France ». Alors, ils ne voulaient pas les deux vieux parce que nous, si vous voulez, on protégeait cette fille là, cette petite fille par notre présence. C'était une petite fille de 11-12 ans, pas plus. Donc, la protéger mais après tout, moi, j'en ai rien à «foutre» de... parce qu'ils ne regardaient pas quand ils venaient nous sortir de chez nous. C'est la guerre. La guerre, c'est la guerre. Alors, on a piqué des vélos et on a demandé pour rentrer, pour aller à Schwerin. Alors là, le fermier qui avait ça planqué dans sa grange "mein fahrrad ! mein fahrrad"! » [rires ] Je me souviens: «mon vélo! mon vélo!» Alors, là [rires]. Et puis, attrape à courir. Non je ne pouvais pas courir évidemment, mais je suis parti. S'il ne nous avait pas laissé partir, on allait voir les russes et ils allaient leur faire... Mais, c'est normal. C'est la guerre. En allemand, ils disent: «das is krieg ! das is krieg ! », c'est la guerre. Donc, on a fait cette route là et on avait déjà avancé. On y arrive à peu près, les côtes bon, moi je ne pouvais pas monter, il fallait monter à pied en s'appuyant sur le vélo. Donc, arrive à un moment donné, un poste de contrôle américain et comme on n'avait rien: ni carte d' identité, ni vêtement, ni rien du tout. On avait tout brûlé parce qu'il y avait des poux. Des tenues rayées, on n'en avait plus. D'ailleurs moi, je n'avais pas de tenue rayée parce que l'intendance n'avait pas toujours des tenues rayées pour les gens. On était obligé de se changer alors c'était des habits civils sur lesquels il y avait une grosse croix peinte dans le dos, tout le dos comme ça et puis sur le pantalon, pareil. il y avait le numéro de matricule sur le côté gauche comme ça [il montre l'endroit sur sa poitrine] et sur le côté droit du pantalon à hauteur du genou ou un peu plus haut. Alors tout ça, on l'avait brûlé. Donc, on ne pouvait pas passer, alors ils ne nous connaissaient pas. On avait beau dire : «francez !» parce que moi je ne parle pas anglais, même à l'époque, deux mots peut être. Ils n'en avaient rien à «foutre ». Tout à coup, il arrive un convoi de prisonniers de guerre français. Alors là, c'est un truc! Le bol complet! Les gars nous disent: «mais qu'est-ce que vous foutez là ? » Alors, moi j'ai dit: «on était en camp de concentration à Sachsenhausen. Moi, j'étais le matricule... Le copain, il est arrivé un an après mais bon...»

Alors, il nous a embarqué dans son convoi de prisonniers de guerre et là, on a pu passer. Et après, on a pu rejoindre Schwerin où ils regroupaient tous les déportés du coin, même de Ravensbrück parce que, je ne sais pas si vous voyez la position , de Ravensbrück, c'est environ 30 ou 40 kilomètres un peu au-dessus de Sachsenhausen. C'est Nord, un peu Ouest, mais pas beaucoup. Mais il y avait aussi toutes les bonnes femmes qui avaient dû évacuer comme nous parce que de toute façon, on a retrouvé après des femmes de Ravensbrück... Donc, c'était une pagaille. Alors voilà Schwerin. On a été regroupé si vous voulez dans la caserne Adolf Hitler. Est-ce qu'il y a quelqu'un qui vous l'a dit ça ? Alors c'était la caserne Adolf Hitler. Et de là, on est resté quelques jours, on vivait avec des rations américaines parce que la nourriture... On vivait avec des rations américaines. Il y a des gens qui sont morts parce qu'ils se sont «foutus le camp» à aller abattre des chevaux, des cochons, des trucs comme ça et ils s'en sont « foutus » plein... Donc, ils ont attrapé tout,: dysenterie, tout ce qu'on veut parce qu'ils n'ont pas pu, le système digestif n'a pas pu le supporter. Et ils sont morts là, comme des «cons». Alors que moi, j'ai fait toujours attention. J'avais perdu la graisse mais pas la peau et les os et puis la «tronche » étaient là [rires]. Alors là, même le copain, il était parti pour aider à tuer un cheval ou ne je ne sais pas quoi. Je lui ai dit: «tu ne fais pas le "con!" Si tu veux rentrer à Gondrin, tu ne me «bouffes » pas des «saloperies » comme çà ». Pourquoi je disais çà ? Pourtant je ne suis pas médecin ni rien du tout. C'est l'instinct de conservation. C'est pour ça moi je pense que je m'en suis sorti parce que j'ai toujours eu l'instinct de conservation. Hein ? Vis à vis de la nourriture, vis à vis de l'effort, vis à vis du sommeil, vis à vis de l'assimilation du peu d'aliments qu'on nous donnait. Tout çà, j'ai toujours eu une espèce de vision à moi. J'ai dit: «tu ne nous fais pas le «con » parce qu'on va rentrer à Gondrin ». Lui, il m'a sauvé. Vous savez comment il m'a sauvé ce «drôle » là ? J'étais affalé moi. D'abord, il y a le... mémorial, une stèle là-bas au bois de Below. Et bien, c'était un peu avant le bois de Below, peut-être 100 mètres ou un truc comme ça. J'étais assis au pied d'une souche de pin, parce qu'il y a beaucoup de pins et il y a aussi des vergnes. Il me dit: « Oh! Castets! Il faut rentrer à Gondrin pour aller boire le vin blanc!» Il me tape sur l'épaule. Et bien ça! J'étais complètement «azimuté» rien du tout. J'étais dans le cirage. Je n'étais pas couché, agonisant. Non, non! Assis, appuyé! Et bien, je me suis relevé, je ne sais pas comment. J'avais une musette parce qu'ils nous avaient averti un peu avant de partir qu'on allait être sur les routes en train de... Ils n'avaient quand même pas été trop «cons », j'ai tout vidé parce que la musette vide me sciait l'épaule. Ca vous ne pouvez imaginer la faiblesse de quelqu'un, le poids d'une musette qui pèse 200-300 grammes qui vous scie l'épaule. Alors, j'ai réussi à regagner le gros de la troupe, des gens qui étaient dans le bois et là, ce qui nous a sauvé, c'est pas le gars avec qui on allait boire le vin à Gondrin, c'est la bouffe! C'est un paysan ou un gros fermier, enfin petit ou gros, je n'en sais rien, c'était un fermier. Il nous a fait une soupe de tous les légumes qu'il avait dans la ferme, si vous voulez. Et moi, je revois toujours cette chaudière là qui existe en France. J'ai eu la même en France pour faire la soupe aux cochons. Pareil! J'ai dit: «putain! On va manger de la soupe aux cochons!» le m'en souviens. ! C'est un truc comme çà! Et même le copain qui est encore en vie, je pense, parce que je n' ai pas de nouvelles assez souvent. Et on a «bouffé » une assiette de cette soupe là. Ca nous a «requinqués » ! On a pu faire deux ou trois jours comme ça en marchant. Après, on s'est évadé de la colonne. On s'est évadé parce qu'en principe, la colonne s'est démolie là, à 10 kilomètres de Parchim. Mais là, c'est le bois de Below pour moi, c'est ça. Le bois de Below c'est là où j'ai failli «crever» comme il y a beaucoup de gens qui y ont «crevé», ils sont morts là-bas. Je n'appelle pas ça mourir moi, j'appelle ça crever, les pauvres! Au pied des arbres où ils sont morts, il y a un triangle rouge [silence]. On était donc arrivé à Schwerin à la caserne Adolf Hitler. Et puis ensuite, on nous a dirigé avec de camions. On nous a porté sur Lünebourg et puis il n'y avait pas d'avions ou il n'y en avait plus, je ne sais plus. Et puis, on est reparti en camions, changé de camions, des GMC évidemment. Et puis, on est allé sur la Hollande. La Hollande, où ? Je sais que c'était en Hollande, ça c'est sûr. On nous a foutu sur des wagons parce que vous savez que le chemin de fer et tout ça, les wagons et tout ça, c'était un peu juste aussi et... On nous foutu encore sur des wagons à plates-formes, des wagons à bestiaux si vous voulez mais en plein air comme ça.

Et il faisait un soleil magnifique. Mais, on n'était plus 80 [rires]. On était une trentaine ou je ne sais pas, on était tous allongés par terre là si on voulait dormir là. Et là, j'ai retrouvé mon copain de la marine avec qui j'avais été arrêté sur la frontière en 1943, mais je l'avais laissé au grand camp lui, il était dans un kommando qui dépendait du grand camp mais mécano aussi pour réparer le matériel des SS: des voitures, des trucs comme ça. Et alors, je l'ai retrouvé sur la plate-forme deux ans après! Vous vous rendez compte un peu le truc! L'émotion, vous pouvez y aller! Et puis après, ça a continué comme ça, doucement, le train un peu. Et puis, on est passé à Bruxelles, les français de Bruxelles, ils sont venus nous porter des cigarettes, tout ce qu'ils pouvaient faire. Vous savez, il n'y avait pas grand chose à l'époque. Le geste était là. Et puis après, mon copain a dit: «On passe par Paris». J'ai dit: Non, moi je rentre à Gondrin ». J'étais fatigué.

Alors après, on est rentré directement à Gondrin avec le copain de Gondrin. Il a regretté parce que si on était passé par Paris, il serait passé à l'hôtel Lutétia, et tout ça... parce qu'il est toujours resté dans le département à élever des vaches ou des trucs comme ça et faire du tracteur. Il n'en est jamais sorti. Donc on a pris le train jusqu'à Bordeaux et puis à Bordeaux, on nous a réceptionné. Alors là, c'était avec les moyens du bord: les fleurs et tout le «bordel » ! [silence] Formidable! Après, on est allé à la Croix-Rouge, on nous a fait manger et tout ça. Puis après, on est redescendu: on a pris la ligne Bordeaux-Agen parce que moi... A Agen, on tombe sur un paysan, un propriétaire de chez moi. Il nous a invité au restaurant, un grand restaurant, je ne sais pas à l'époque. On a «bouffé» de tout! On ne pouvait plus «bouffer» : les jambons, des trucs comme ça... avec l'estomac qui était petit, vous vous rendez compte un peu ? Enfin, ça nous a touché quand même à tous les deux. Après, à Gondrin, quand je suis descendu de l'autobus, ils ne me reconnaissaient pas, hein! Parce que...