André Castets

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ENTRETIEN AVEC ANDRE CASTETS.
le 16 novembre 1999
à Saint-Médard en Jalles
Mémoire de Stéphanie Vignaud

Bon, voilà! On est parti de Heinkel. Je ne sais pas exactement la date. Mais ça devait être au mois d'avril, je ne sais plus quel jour. Ca, on doit les avoir les dates. Et puis on s'est baladé comme ça 12 jours à pied sans manger depuis Heinkel jusqu'à Schwerin. Quoi que le Kommando Heinkel, si on reprend l'histoire depuis... il a été disloqué à côté de Parchim. C'est là qu'avec un copain de mon village on s'est évadé de la colonne mais on n'a pas eu de mal parce qu'il paraît que c'est là que les SS nous ont abandonnés. Mais on ne l'a su qu'après. Nous, on a cru qu'on avait fait un exploit de se "carapater" dans les céréales et tout ça. ..Et puis on a fait, je ne sais pas combien, peut être un kilomètre, peut-être deux, peut-être trois. On a couru. Enfin on a couru ! Moi, je ne pouvais pas parce que j'étais comme ça [il montre son poids] : 45 kilos tout mouillé sans «bouffer. Vous pensez que sans «bouffer», vous avez vite fait de perdre des kilos. Les gens qui veulent perdre des kilos, je sais comment on fait moi! On ne mange pas, ça y est, on ne grossit pas. C'est tout, il n'y a pas d'autre système. Alors là, on s'est échappé et puis on s'est «foutu» dans une meule. Et puis, le lendemain matin, il y avait du soleil et puis on entendait une charrette et puis, une allemande avec un prisonnier de guerre polonais. Et puis, on est sorti en vitesse parce j'ai dit à mon copain qui est de la campagne comme moi, mais lui était toujours paysan, pas moi. Je lui ai dit: «on va sortir parce qu'ils vont nous foutre un coup de fourche en allant chercher la paille dans la meule [rires]. Les autres, ils ont vu deux cadavres ambulants [rires] parce que, hein, c'était maigre! Ils sont repartis avec le cheval, parce que c'était des voitures avec... vous savez là-bas, ils tiraient les voitures avec des chevaux. Ils sont revenus, ils ont porté des vieux vêtements et puis de quoi «bouffer»: du pain et puis du fromage blanc. Je ne sais pas. Oui, du pain avec du fromage blanc. Et puis, il fallait rester planqués dans le petit bois. Et puis, on est resté quatre jours dans le petit bois et il y avait encore des soldats SS qui se promenaient. On aurait pu se «bousiller» pour effacer toutes les preuves de notre présence. Remarquez, moi je pense qu'il y a deux solutions. Les SS nous promenaient et ils avaient peut-être pour mission de nous exterminer. Voyez qu’on ne pouvait pas aller jusqu'au bout. Mais il y avait aussi, je pense qu'ils nous gardaient comme monnaie d’échange. Il y a les deux versions. Dans tous les cas, nous, à côté de Parchim, 10 kilomètres de Parchim, mais comment il s'appelle le patelin? Tout le monde est parti; il n'y a plus de SS. Donc les gens… Il faudrait revoir le récit là. Moi, je ne connais pas le récit des gens, du gros de la troupe des colonnes de marche d'évacuation de Heinkel. Moi, je ne peux raconter que mon truc à moi parce que moi, j'ai vécu là. J'étais tellement affaibli, je suis resté une quinzaine de jours ou plus. C'est à dire que, le 8 mai, j'étais là et les troupes russes étaient là. Et on a eu droit au drapeau rouge tout autour de la petite place là, dans le petit patelin de rien du tout, les camions autour, etc. Ce qui nous avait favorisé, c'est que quand on était caché dans le petit bois, il y a deux russes déportés comme nous dans le même camp qui étaient là. Et quand on était caché, on a vu des camions passer, les deux russes qui étaient avec nous nous ont fait comprendre que, à moitié… deux mots de russe, trois mots d'allemand, voyez, c'est le «charabia» habituel, que c'était le matériel russe: Ruski material. Alors bon! Alors j'ai dit: «bon. On n'a pas confiance. on n'y va pas !» Alors, eux sont partis au village et puis ils sont revenus. Ils étaient avec des manteaux noirs comme ça et puis, ils étaient gros. Alors, ils ouvrent le manteau et paf! Des pains ronds, du beurre, du fromage blanc qui tombaient. Scié! Ca je peux vous dire que c'est vachement émouvant. Après, on n'est pas allé au village tout de suite. On a continué à se planquer là, dans le bois. On n'était pas tranquille. C'était moi. Le copain, lui, bon! Alors j'ai dit... Comme je ne pouvais pas trop marcher, mais je faisais cuire moi. Alors on a trouvé deux seaux et je lui ai dit: «tu vas me «faucher»> je ne sais pas quoi». C'est un système D [rires]. Les ruskis, ils disent «Zabraly. zabraly» ça veut dire voler en russe. Et alors, les poules [rires]. «Putain>, faire cuire une poule [rires] mais la faire cuire comme ça: sans poivre, sans rien du tout... Pour assaisonner, c'est les orties. Ah mais, quand on était dans le bois, qu'on n'avait rien et que les russes n'étaient pas là, on avait volé des pommes de terre et pour assaisonner, on avait fait bouillir... Mais, il y a un truc que je ne me rappelle plus: comment on a trouvé de faire du feu avec des allumettes ? Comment ? Même le copain qui est encore en vie, enfin, il ne va pas loin d'être mort parce qu'il a un cancer, lui non plus, il ne se rappelle pas du tout comment on a fait du feu. Avec des seaux pleins de patates, on a fait du feu, on a fait cuire, on a mis des orties parce qu'il yen avait le long du petit ruisseau, il y avait des orties et on a «bouffé» ça. Et puis, quand on a eu «bouffé» le seau, on ne pouvait plus se lever parce qu'on avait un truc [il montre son ventre] comme ça. Il y avait trop de poids. Alors, moi je ne pouvais plus me lever. Alors bon, c'est des trucs... Après, on a donc fait cuire ce qu'on trouvait: un agneau aussi. Le copain, lui, il était plus valide que moi parce que j'ai deux ans de camp, mais lui il n'avait qu'un an de camp. Voyez, ça fait beaucoup. Ca fait une très grosse différence sur le plan résistance. Donc, moi je faisais cuire. Bon, c'est pas difficile: de l'eau bouillie et puis des orties. On «bouffait» ça. Et puis après, les russes qui étaient avec nous, nous ont amené aux soldats russes et ils leur ont dit: «bon voilà, ils viennent du camp d'Oranienbourg». Moi, j'ai compris tout ça. Et puis, ils nous ont laissé là. Et puis, parce que je pouvais plus «arquer ». Je ne pouvais pas aller plus loin. Et donc, je me suis «retapé» pendant une quinzaine de jours, peut-être plus je ne sais pas, entre 15 et 20 jours. Je ne sais plus quel nombre exact. Après, «retapé» comme ça, on a piqué des vélos ! Mais les russes nous ont invité une fois parce qu'il y a… Attendez, c’est une petite anecdote quand même. Ils nous invité à «bouffer», ils ont tué le cochon au mousqueton. Le cochon de la ferme. Deux heures après, il était cuit sur la table et tout. C'était un sergent, un sous-officier «ruskof» qui nous avait dit: «voilà». Ce mec s'occupait du bordel militaire de campagne. Il y avait des femmes pour les soldats, comme chez nous, à la légion étrangère, vous avez un BMC : bordel militaire de campagne. Des «machins» qui ont une tente à elles et les soldats, quand ils ont envie, ils vont là-bas. Ils vont au "machin", ils vont se soulager. Là-bas, c’est pareil. Alors, on a invité le copain et moi chez les bonnes femmes pour manger, pas plus… (rires), pas la peine. On a «bouffé» comme çà. Il y avait un plat de patates, un plat de cochon, pas de fourchette, pas de couteau. Rien. Débrouilles-toi avec les doigts. C’était vachement drôle.

Donc, moi, je suis resté planqué chez des vieux, des personnes âgées qui n’avaient jamais dû partir à la guerre parce qu’ils étaient trop âgés. Mais, donc on a couché là, on avait une couchette si vous voulez dans un coin et puis de temps en temps, parce qu'ils n'avaient pas grand chose à «bouffer », parce qu'ils n'étaient pas fermiers eux. Ils étaient comme ça à la retraite, ils étaient âgés quoi, ils donnaient une petite tranche de jambon. Et puis on se «démerdait» comme on pouvait. Mais un des soldats russes du village, il prenait son «pétard » et on allait à l'épicerie, on allait chercher du sucre et des pâtes. Les autres, ils faisaient la queue. Là, c'était le contraire. Oui, c'était les autres qui faisaient la queue. Nous, on passait d'autorité. Alors ça c'est sûr. Mais ce qu'il y avait, ce que j'ai remarqué aussi, c'est que chez ces vieux, ils avaient une petite fille qui avait, je ne sais pas 10-11 ans comme ça et comme ils avaient peur qu'elle se fasse attraper par les russes parce que ça, elle risquait de «passer à la casserole ».