Entretien avec Guy Ducos.

Les 10 décembre 1999 et 5 janvier 2000 à Bordeaux

Mémoire de Stéphanie Vignaud.

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Sachsenhausen Marche de
la mort.
Libération.


L'étudiante: Vous disiez avoir pu recevoir du courrier; l'avez-vous conserver ?

R.D: Non. Tout a brûlé. Alors ça, c'est une post-carte. Mais c'est à l'époque où il y avait encore le timbre. Parce qu'ils ont supprimé le timbre parce qu'il paraît qu'il y avait des messages secrets qui se mettaient sous le timbre. Alors pareil; " Je suis en bonne santé. J'espère qu'il en est de même pour toi. " Même texte, tout le monde écrivait le même texte. Ce que j'ai de particulier là, très drôle, c'est un truc très drôle. J'ai dû vous dire que quand j'étais au block-Schonung 39, au grand camp et ils nous faisaient prendre des douches la nuit et tout ça et dehors, on s'attrapait la crève, que j'ai eu un problème, je ne sais pas si c'est une congestion pulmonaire ou je ne sais pas quoi et qu'à ce moment là, ils m'ont envoyé au Revier du grand camp, à l'infirmerie du grand camp et c'est de là que je suis reparti à Heinkel parce que j'étais à côté d'un Landais qui s'appelle Sainte Cluques, le cheminot, qui m'a dit: & Ne reste pas là. Ne reste pas au Schonung ! Il va t'arriver des histoires! Rentre là-bas ! Va donc à la Schreibstube et fais-toi rapatrier chez Heinkel. " C'est ce que j'ai fait. Je n'avais pas d'attachement particulier à Heinkel mais c'est quand même mieux que ce qui pouvait m'attendre par là. Et quand je me suis trouvé dans ce block Revier, il était à côté de moi ce Sainte Cluques là. Il n'y avait que des types qui avaient de la température, étaient frileux, étaient malades... A un moment donné, on vient me... enfin des détenus mais des détenus s'occupant de l'organisation du camp ou un type est venu et m'a appelé. Enfin, il a appelé le chef du block Revier pour que je vienne et que je le suive en disant que c'était le commandant du camp qui voulait me voir. Alors, tout le monde me regardait: convoqué par le commandant du camp, les gens faisaient une drôle de " bouille " et moi-même. I1s ont dû se dire: ou il est libéré ou bien il est condamné. C'est un événement. Je tombe sur un type - je ne sais qui était le commandant du camp à ce moment là - au mois de décembre 1943. Non, c'est la lettre qui avait été envoyée et ça, c'est la réponse. Il avait sous les yeux une lettre de ma mère qui avait été faite par une voisine. A côté du groupe scolaire, il y avait une perception à Castelnau, la perception était à côté et on avait sympathisé avec le percepteur qui était d'ailleurs un ancien de la guerre de 1914 et sa femme était une littéraire, une femme très très cultivée, très cultivée et qui parlait et connaissait parfaitement la langue allemande, la langue française d’ailleurs aussi. Elle avait un vocabulaire! Ma mère avait dû dire : je n'ai pas de nouvelles, je ne sais pas ce que devient mon fils et tout ça. Et sa voisine - enfin, elle m'a raconté tout ça après - et cette voisine là, cette dame lui dit: " Moi, je vais vous faire une belle lettre, vous n'aurez qu'à la recopier, au commandant de ce camp et vous verrez bien, on verra bien ce que cela va donner. " Elles écrivent donc au commandant. Je ne sais pas ce qu'elle a utilisé comme arguments. Et le commandant me convoque pour ça, parce que ma mère n' avait pas de mes nouvelles. Et le commandant du camp & m'engueule " parce que je n'écrivais pas à ma mère. Or, pour écrire, il fallait payer le timbre et je n'avais pas un sou. Mais enfin, ce n'était pas évident d'avoir... parce que ça se payait ça et on n'avait pas de sous là. On avait quelques fois de l’argent qui avait été pris sur nous et qui avait été mis à la Schreibstube avec nos vêtements et tout ça. Ils avaient récupéré l'argent. Et quelques fois, il est arrivé qu'ils débloquent un peu d'argent mais transformé en Reichmark. Alors, je ne sais pas... Alors " m'engueuler " parce que... De toute façon, quand ils parlent, on dirait qu'ils nous " engueulent ". Il me mettait en demeure d'écrire tout de suite, tout de suite à ma mère et etc... Parce que ce n'était pas normal! C'était une honte! Il me faisait la morale! La morale parce que je n'avais pas écrit à ma mère. Alors, il répond à ma mère. Il écrit le 19 janvier 1944 et ma mère avait dû envoyer le 16 décembre. Il doit lui annoncer que je lui ai envoyé une lettre de mes nouvelles le 9 janvier 1944 et lui, il lui envoie ça le 19, le commandant du camp.

L'étudiante: Avez-vous ramené d'autres souvenirs du camp?

R.D: Tout brûlé. Je n'ai rien gardé de tout ce que je pouvais avoir sauf la veste à Valenciennes. J'avais aussi une paire de pantalons que j'ai laissée, les souliers. J'ai laissé tout ça à Valenciennes quand on m'a donné le costume.

L'étudiante: A Valenciennes, on vous a posé des questions?

R.D: Non. C'était un centre d'hébergement. Là, ils ont rempli des papiers. Ils nous ont fait des papiers qui nous ont servi par la suite: un peu comme cartes d'identité et aussi mentionnant ce qu'ils nous donnaient: une chemise, un complet veston, etc... peut-être un peu d'argent. A Valenciennes, on était dans un grand magasin, un peu comme Nouvelles Galeries ici, complètement désaffecté évidemment pour ce genre d'usages. On était sur des étages. A un moment donné, il y a eu un remue-ménage pas possible, on a vu des gens courir après un type qui est parti dans le sous-sol. Il paraît qu'ils l'ont écrasé dans le sous-sol. Parce qu'au moment où il se déshabillait pour passer une visite médicale - parce qu'on a été examiné - ils ont vu un tatouage S.A. C'était un gars des S.A., une chemise brune. Il s'était déguisé, il avait donc pris le costume d'un détenu à quelqu'un. Qui sait s'il ne l'avait pas tué! En tout cas, il a passé un sale... Moi, je ne suis pas allé voir.

L'étudiante: Après, avez-vous adhéré tout de suite à l'Amicale de Sachsenhausen, dès qu'elle a été créée?

R.D: Dès que j'en ai eu connaissance, oui. D'ailleurs, il y a eu d'autres tentatives de création d'autre amicale, une autre qui était justement un copain, Caseau, qui était dans le hall 2 - au même hall que moi - à Heinkel. il était informaticien à Air France après. En rentrant, il a voulu faire une amicale. Je dois avoir quelque part... il y a eu cette tentative mais qui n'a pas été tellement suivie. il faut une persévérance, il faut un esprit... Il faut un militantisme que tout le monde n'a pas. Je reconnais que les camarades qui sont déportés pour des raisons d'appartenance notamment au parti communiste - parce qu'il y en a, il ne faut pas le nier - sont beaucoup plus actifs, sont des gens qui militent, qui s'engagent, qui sacrifient leur temps. Alors que de l’autre côté, du côté gaulliste - parce qu'on peut séparer ces deux " espèces " à la rigueur - là, c'est l'individualisme. Il n'y a rien qui les rassemble vraiment, il n'y a rien. Il m'arrive de penser que peut-être parfois, il y a une arrière-pensée politique dans l'activité de certains à l'amicale. C'est possible que ce soit un bon tremplin. Il ne faut pas nier la grande part qu'ont pris les communistes dans la Résistance et dans la déportation, il n'y a pas de doute. Si on fait le décompte des fusillés à Bordeaux, c'est vrai que les 9/10ème sont des communistes, ce qui fait réagir violemment, par exemple lors d'une exposition au centre Jean Moulin. Ils finissent par penser qu'il n'y a plus qu'eux, d'autant plus que les autres paraissent inexistants parce qu'ils ne se manifestent pas. Alors qu'en réalité, dans les camps, c'était 50%, pas plus, même pas peut-être. On l’a vu quand on est parti de Compiègne, dans le train - enfin dans le wagon - à la gare de Compiègne: ceux qui chantaient l'Internationale et ceux qui chantaient la Marseillaise. Ca, ça m'a intrigué la première fois parce que je me suis dit: " Tiens. C'est une chose que je ne pensais, que je n'avais pas vu comme ça! " Je découvrais.

L'étudiante: Sinon, vous faites partie d'une fédération?

R.D : La F.N.D.I.R.P., oui. Essentiellement parce que Guy y est et d'autres copains aussi. C'est une fédération qui se défend bien aussi pour les statuts, pour l’application des règles et des lois en matière de reconnaissance des infirmités, etc... Il y a un dispensaire là-bas. C'est organisé, ça marche bien. Maintenant, je ne tient pas compte de toute la prose que je lis... Je n'ai jamais voulu mettre ça en exergue, ces critères là... Parce que si on rentre dedans, on ne s'en sort plus. Je crois qu'il faut conserver une idée d'ensemble. Il ne faut pas dire: & Moi, je... Toi, tu... etc..." On n'est pas nombreux à s'en être sortis... Parce qu'en fait, on a vécu les même choses, alors c'est à ce titre là qu'on est proche. Et puis moi, j'ai des relations avec Guy qui sont très très particulièrement fraternelles. On n'a pas eu le même genre de vie.

L'étudiante: Est-ce que vous faites partie du groupement des Cartes rouges?

R.D: J'en ai fait partie. Plus exactement, quand j'étais déporté, quand j'étais dans le camp, mon grand-père qui était un officier des douanes et qui se trouvait à Bordeaux, qui habitait Bordeaux, m'avait fait inscrire, et il avait payé ma cotisation aux Cartes rouges. En rentrant, il me dit: " La Carte rouge. Tu fais partie des Cartes rouges. " Alors j' ai payé ma cotisation pendant quelques années. C'est quelque chose de très local. C'est mademoiselle Batany qui est la présidente. C'est très particulier à Bordeaux. J'ai été président d'un comité pour la mise en place d'une plaque commémorative à la Caserne Boudet. J'ai animé ça. J'ai réuni toutes les associations... Il a fallu créer une association, avec des statuts et tout ça... Il y avait le préfet, le maire, l’armée pour l’inauguration.

L'étudiante: Au niveau des pèlerinages, y allez-vous régulièrement?

R.D: Pèlerinages, je suis allé au tout premier pèlerinage en 1955 ou 1956. J'y suis allé au moment de l'inauguration du monument. Il y avait beaucoup de monde. C'était organisé par la R.D.A.. La place d'appel était pleine de sympathisants. C'était la grosse manifestation organisée par les communistes, il y a le monde qu'ils veulent. S'ils ont décidé qu'il devait y avoir 10 000 personnes, il y a 10 000 personnes, elles y sont. Mais enfin, on a été très bien reçu, c'était pas mal. Et puis, j'y suis revenu une autre fois pour montrer à mon fils avant qu'il se marie. Et puis, j'y suis revenu cette année, en pèlerinage. Mais en dehors de cela, on y est allé avec Guy et les autres, il y a quatre ans maintenant avec Noailles, Dumon et Chataigné. Alors, on est allé en pèlerinage à ce moment là mais c'était surtout pour faire deux choses distinctes: retrouver dans la forêt la trace de Klinker, de la fonderie - qu'on " loupé " d'ailleurs, qu'on n'a pas retrouvé avec exactitude, on s'est trompé parce qu' on ne faisait pas que cela, on y est resté deux heures - et ensuite, on a fait la " marche de la mort " de bout en bout. On a séjourné dans un magnifique hôtel à Schwerin. Je suis revenu une autre fois avec Chataigné, tous les deux. J'y suis allé un week-end là-bas et nous avons été reçu par le Dr Morsch qui est le directeur là et puis aussi par Dipasqual qui s'occupe plus particulièrement de Sachsenhausen, une historienne Engelhardt, une historienne qui a fait une partie du dépliant sur Klinker, une historienne qui s'est trompée d'ailleurs parce que ce qui a été dit sur la grenade, cela ne va pas. Ce n'est pas une grenade à mains. Et puis, l'utilisation de la céramique pour fabriquer le corps des grenades, c'est faux. Il y a eu des expériences faites pour remplacer le métal par de la céramique mais pour d'autres projectiles que celui-là. Tout au moins, je ne sais pas où cela pouvait se faire parce que ce n' est pas dans une fonderie que l’on pouvait fabriquer de la céramique. Ils ont trouvé une étude sur la céramique, un compte-rendu en disant qu'on pouvait faire de la céramique, mais de là à... Une utilisation temporaire. Ce n'est pas temporaire, c'est expérimental et cela n'a jamais été mis en pratique à mon avis. Il y a des bêtises d'écrites. D'ailleurs, quand on y est allé, elle y était Engelhardt, ils nous ont... On a mangé ensemble à Oranienburg dans un hôtel. Je leur ai dit que d'abord, ce n'était pas des grenades à mains, c'était des grenades à mortier ou type bazooka et qu'il y avait des ailettes qui devaient s'ajouter derrière et un percuteur devant après usinage. Et puis qu' il y avait des anomalies, des choses inexactes. Ils n'avaient pas d'informations sur la fonderie. Alors nous, on y est allé, on leur a apporté l'information, les dépliants avaient été faits et puis ils ne changent pas. On les laisse comme ça. On entérine le truc. On était reçu par eux pour aller faire des recherches effectivement et ces recherches ont été fructueuses parce qu'on a retrouvé un plan exact. Parce que ce que j'avais fait d'imagination [ le plan de la fonderie] se rapproche énormément de la réalité. Parce qu'on a retrouvé des fondations. J'avais imaginé une modularité et elle existait. Je vous ai parlé de la sélection de la fonderie? A l'hiver 1945, vers le mois de février je pense. Chataigné pense que c'est plus tôt mais moi je pense qu'il n'y était pas là, qu'il n'y était plus à la fonderie. Ils nous font tous mettre en fin de l'après-midi, alors qu'on avait fini de couler et tout avait été nettoyé. Ils nous font tous aligner. Il n'y avait pas les moules. On voit arriver des S.S. et des types de la Schreibstube, des gars en uniforme rayé mais sélects - uniformes rayés bien coupés - et des gens, ce n' était pas des manuels parce qu'il y avait des manuels, ils faisaient partie de la hiérarchie du camp. Et là, il y avait devant Edmund, il passait devant les gens, il regardait les types et il disait: " Du... Du... " Cela veut dire: toi. Le type derrière prenait les numéros et les S.S. étaient derrière. Ils étaient plusieurs. Ils avançaient comme ça, ils passaient devant tout le monde et c'est Edmund qui décidait. Devant moi, il me regarde. Je voyais le moment où il allait s'arrêter et puis il a tourné la tête et il a continué. Tous les types qui ont été repérés ont disparu dans un transport ou ont été liquidés dans le camp, je n'en sais rien. Et il y avait le Parisien du groupe électrogène... Tous les types qui n'étaient pas vigoureux, qui ne plaisaient plus au Meister, ces gars là, on les élimine. Ca, c'était une véritable sélection vers février 1945. Je la situe là parce qu'il y a eu vraiment de la mortalité, une recrudescence de la mortalité en février 1945. On le voit apparaître un peu partout, y compris au Mémorial où on voit les décès, les morts au camp. Il en est mort au grand camp mais d'autres sont partis dans des convois ou vers Bergen-Belsen qui était le mouroir.

L'étudiante: Comme écrit, vous avez donc réalisé un petit fascicule et avez-vous fait autre chose?

R.D : C'est la seule chose que j'ai faite. Occasionnellement, j'ai fait des petits articles ou allocutions par ci, par là. J'avais l'intention de continuer, de finir ça [le petit fascicule], je ne l'ai pas fait... Là, il y a deux parties: je décris, généralités et descriptions. Ce qui m'a découragé aussi, c'est le fait que je me basais sur des vestiges qui n'étaient pas les bons et que depuis, j'ai trouvé des choses plus précises. Et j'ai un plan très précis de la fonderie. Il n'y a pas de doute là. Dans le fascicule déjà réalisé, je suis au conditionnel souvent. Je ne suis pas sûr pour certains trucs. Maintenant, ça a changé. Alors comme c'est tout à refaire, ça m'a découragé. C'est dans mon ordinateur, il suffit que je le reprenne. Par ailleurs, des illustrations - essentiellement des dessins - sont à reprendre ou à compléter. La perte de la vision centrale de mon oeil droit complique sérieusement leur réalisation.

L'étudiante: Merci.

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