Bombardement de Royan.


La nuit du 4 au 5 janvier 1945.


Plan de site.

La Reconstruction de Royan (Guy Binot) (éditions Alain Sutton).
Bordeaux, les bombardements, Peter Krause.
Histoire de la Résistance (Henri Noguères tome 10)
Histoire des années 40 (Robert Aron tome IV)
Au secours de La Rochelle, Rochefort et Royan (Amiral H. Meyer)
Les interventions militaires des Etats Unis dans une perspective historique (howard Zinn – colloque Grenoble 05/05/2003)

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Lancaster

Le général Royce, chef de la First Tactical Air Force basée à Vittel, qui supervise les Forces Aériennes de l’Atlantique du général Corniglion Molinier, vient à Cognac, le 10 décembre 1944, rendre visite au général de Larminat, en vue de la préparation de l’appui aérien devant assister l’opération.

Un précédent mémorandum avait été adressé par le général de Corniglion-Molinier au général Royce. Un bombardement massif était demandé avant l’attaque. La demande avait été adressée initialement par le colonel Adeline au général de Larminat en Octobre.

Des cinq personnes présentes à cette réunion, deux représentent les forces françaises, soient, les généraux de Larminat et Corniglion Molinier, trois représentent les forces alliées, le Général Royce et ses adjoints le colonel U.S Crumrine et le colonel Chassey, détaché par l’armée de l’air française auprès de la 1st Tactical.

Cette réunion étant secrète il ne fut pas établi de procès-verbal. Guy Binot avance deux versions:
1°) Royce et ses adjoints assurent que Royan a été choisi comme objectif.
2°) Les français donne comme cibles: la Coubre, pour de Larminat, la ceinture fortifiée de Royan pour de Corniglion-Molinier. Il remet, à cet effet, au général Royce, une carte au 1/25.000, « Défense de Royan », établie par l’Etat-major du colonel Adeline, le 11 novembre, du réduit fortifié de Royan avec la ville de Royan et ses environs sans la Coubre. (carte conservée aux archives R.A.F)° Cette carte porte deux mentions manuscrites en anglais :

« Evacuation by december 15th »
en haut à gauche “Pointe de la Coubre 13 miles from Royan” avec une flèche vers le Nord.

L’amiral Meyer écrira, pour sa part que le «  le général américain, d’un tempérament bouillant, avait très vivement insisté pour que les poches de l’Atlantique fussent, suivant sa propre expression, ramollies par des bombardements aériens massifs

Le colonel de Chassey, adjoint du colonel Royce, doit rédiger une note, le 17 janvier 1945, sur cette réunion. Mais, déjà, à cette époque on recherchait des responsables. D’après la note établie Royce se serait inquiété par deux fois de la mort inévitable de civils français.

De Larminat aurait répondu : « la plus grande partie de la population a été évacuée. Des ordres d’évacuation ont été donné. Aucune raison pour que l’opération soit annulée. "

Allant plus loin, Robert Aron, dans son « Histoire des années 40 », écrit que « Déçu, le général américain passe la soirée dans un camp de presse F.F.I, où, au cours d’une beuverie, des éléments irresponsables s’expriment en termes forcenés sur la population demeurée à l’intérieur de Royan – Tous ces gens là, affirme-t-on, ce sont des collaborateurs.

Le 11 décembre, selon Robert Aron, le général serait revenu au Q.G. afin d’exposer « une idée merveilleuse qui lui était venue au cours de la nuit » ; profiter de ce que Royan était dépourvu de défenses aériennes pour l’affecter comme cible d’entraînement à certaines écoles de bombardement sises en Grande-Bretagne. Proposition refusée par les Français.

Le 13 décembre, une confirmation de l’attaque est demandée au S.H.A.E.F. Le problème des civils est à nouveau soulevé car les objectifs visés (port de Royan et diverses batteries côtières) engagent un bombardement massif du site. Le général Royce fait accepter cinq bombardements au S.H.A.E.F. : quatre batteries à la Coubre et la ville de Royan.

L’accord du général de Larminat est donné le vendredi 15 décembre par l’intermédiaire du colonel Chassey.

Le colonel de Chassey devait confirmer en 1955, par note manuscrite, « la vérité est que la ligne de bombardement fixée par le général de Larminat laissait la ville de Royan dans l’axe que les alliés avaient latitude de bombarder ». Décision confirmée par deux fois par le général Royce, Royan devant être évacué par la population civile.

Le 14 décembre le général Thatcher cite parmi les objectifs retenus : « Town of Royan ». Il n’y a pas d’ambiguïté.

Confirmation, le 16 décembre par télégramme du général Spoatz au général Doolittle commandant la 8e Air Force équipée des bombardiers lourds, les « Forteresses volantes ». Prévision d’une attaque des unités de bombardement de nuit à l’entraînement. Une copie du message est donnée au Bomber Command de la R.A.F.

17 décembre, Général Devers, supérieur hiérarchique de Larminat demande confirmation de la ligne de sécurité des bombardements dans la poche pour protéger ses propres troupes. Réponse : ligne extérieur à la Tremblade, Semussac et Meschers, Royan est comprise dans le périmètre à bombarder. Plus tard, le 18 janvier, Devers le rappellera à de Larminat.

18 décembre, le général Anderson, adjoint au commandant des forces alliées pour les opérations, adresse un nouveau rapport au général Doolittle. Il confirme et résume la participation de la F.A.A. à l’opération « Independance » du 25 décembre : «  Les forces terrestres et navales utilisées dans cette opération anticipent des pertes modérément élevées à cause de l’importance considérable de l’artillerie et le nombre des positions de défense côtière que l’ennemi possède. De plus, la ville de Royan située sur la rive est de l’estuaire de la Gironde est puissamment défendue et à présent constitue le point principal de résistance. La population civile a été évacuée de Royan et, après le 15 décembre 1944, la ville et les défenses côtières peuvent faire l’objet d’une attaque aérienne. Toute destruction ou neutralisation temporaire de ces objectifs par une attaque aérienne sera une contribution matérielle au succès et à la réalisation rapide de cette opération et apportera une réduction des pertes des forces terrestres et maritimes ». L’affaire est alors entre les mains de l’Etat-major des forces aériennes stratégiques.

23 décembre, le général Spaatz adresse un télégramme au général Doolittle et remet sine die l’opération « Independance » tout en « laissant les objectifs disponibles pour votre attaque ». Pas de double pour Royce et Corniglion-Molinier.

Le 27 décembre, le commandant Hubert Meyer apprend que le général de Larminat vient de recevoir du ministère de la Guerre un télégramme lui prescrivant de prendre contact, si possible, avec le commandement ennemi de Royan afin de négocier la grâce de plusieurs habitants de la ville, condamnés à mort pour faits de résistance ; un général allemand prisonnier est offert en échange. La mission en échoit au commandant Meyer qui, le 2 janvier, se présente aux avant-postes de Meschers accompagné du commandant Stoebner. L’entrevue fut une simple formalité. L’ennemi acceptait l’échange.

4 janvier, un télégramme supplémentaire confirme la zone à bombarder, fournie par le général de Larminat. « le statut des objectifs reste inchangé. ». Le mauvais temps annule tous les bombardements sur l’Allemagne et l’Air Vice-Marshal Oxland du Bomber Command de la R.A.F cherche d’autres cibles. Le bombardement de Royan est décidé pour la nuit du 4 au 5 janvier 1945.

Ce jour-là à 15h40, la météo étant favorable, la décision de lancer l’assaut est donnée. Le S.H.A.E.F donne son autorisation à 17h25. Le Q.G. de la VI US.Army à Vittel est informé. Le général Schramm, adjoint de Royce, n’arrive pas à obtenir l’accord définitif des autorités françaises, la ligne Vittel-Cognac est en dérangement. Des messages chiffrés, classés « Urgent », sont adressés aux généraux de Larminat et Corniglion-Molinier. L’absence de réponse est prise pour une acceptation. Souhaitant une réponse, le général Royce, à 19h50, envoie un nouveau message à de Larminat. Toujours pas de réponse, le feu vert est donné aux escadrilles basées en Angleterre.

5 janvier, 341 bombardiers Lancaster s’envolent des bases anglaises, après minuit, pour raid de terreur. Consignes données :

détruire la ville fortement défendue et occupée uniquement par des troupes allemandes ».
« ne lâcher les bombes que si l’objectif est clairement identifié à cause de la proximité des forces militaires françaises. »

La RAF a choisi pour repérer la ville, sur le plan du War Office, les coordonnées 372753 de Lambert sur la carte GSGS.4250.6M/5, soit un point de longitude 37,2 et de latitude 75,3, en plein centre au nord du cimetière protestant. Ce point, plus central que celui proposé par Royce, sert simplement de référence pour situer la ville, les sept Mosquitos qui guident les bombardiers balisent, avec 1.242 fusées rouges et vertes, le véritable objectif  : un quadrilatère à écraser sous un tapis de bombes. L'attaque a lieu en deux vagues ; la première, de 217 Lancasters, commence le bombardement à 03h51. Peu destructrice, l’attaque n’a duré que 15 minutes. Les gens sortent de leurs abris afin de porter secours aux premiers blessés. Toute la population se trouve à découvert. Il est 05h28, 124 nouveaux bombardiers se présentent à la perpendiculaire de la cité à une altitude entre 2.000 et 3.000 mètres. L’attaque s’achèvera à 05h43. Juste 15 minutes. Le temps de larguer 1.576 tonnes de bombes explosives, dont 285 bombes de 4.000 livres Blockbusters. Pour baliser l’objectif, les Pathfinders ont lâché 1.242 fusées et 27 tonnes de bombes incendiaires. Le Rolling Carpet Bombing a fait son œuvre.

Les premiers secours s’organisent dans une maison close pour soldats allemands : « au Clair de lune » vont se dépenser sans compter, prostituées et religieuses, infirmières de bonne volonté. pendant 48 heures. L’hôpital des Mathes est saturé.

Ce déluge de fer et de feu va se révéler un véritable fiasco pour l’aviation britannique ; malheureusement, la ville est détruite à 85%. Le bilan humain n’est pas figé. Selon les sources, on relève de 336 à 490 tués, de 100 à 150 disparus et de 300 à 400 blessés. Côté allemand : 35 à 47 morts. Aucune défense n’a été détruite.

L’aviation britannique enregistre, pour sa part, la perte de 7 appareils : 2 abattus par la Flak, 2 étant entrés en collision au-dessus de Cognac, un autre, sévèrement endommagé qui s’écrasera à Courlay. Le sixième ne rejoindra pas l’Angleterre et s’abîmera en mer. Le dernier, suite à une avarie de moteur, s’écrasera près de sa base.

A Cognac, au Q.G. de Larminat, croyant à un attaque allemande, on éteint toutes les lumières. Des avions sont là, au-dessus du terrain. Collision entre deux appareils qui s’écrasent sur le terrain. Les militaires français interviennent et découvrent avec stupeur, non pas des Allemands mais des Ecossais morts et blessés. Ces derniers arrivent à expliquer qu’ils sont de la R.A.F et qu’ils ont reçu l’ordre avec une dizaine d’appareils de se poser sur le terrain de Cognac. Le terrain est à nouveau éclairé permettant ainsi aux appareils en attente de se poser.

Comment se fait-il que la base de Cognac n’ait pas été prévenue de l’arrivée de ces appareils ? Robert Aron met en cause le détachement de liaison américain sous les ordres d’un adjudant, qui se trouvait au Q.G. de Larminat. Il semble que le télégramme annonciateur du bombardement soit arrivé au moment du dîner et, comme par ailleurs, aucun message important « n’arrivait jamais à Cognac », le sous-officier de service passa à table et remit au lendemain le déchiffrage du courrier,

Au lendemain du bombardement, le commandant Meyer reçut l’ordre de reprendre contact avec l’amiral Michahelles, sur la demande du colonel Adeline. A lui d’amadouer l’ennemi afin de venir en aide aux civils dans le besoin. Le commandant Meyer avouera qu’il n’était pas réellement fier du rôle qu’on lui faisait jouer. Il allait être accueilli par les sarcasmes de son interlocuteur qui lui déclara sur un ton incisif :
« Je suis venu ici dans votre intérêt, et non dans le mien. C’était vraiment bien la peine de venir nous proposer, il y a quelques jours, de nous battre en gentlemen alors que vos chefs préparaient cet affreux massacre ! pour nous les dommages sont légers. J’ai perdu quelques hommes ; vous près de deux mille ; ma forteresse est intacte et votre ville rasée. Curieuse façon de faire la guerre ».

Le général de Gaulle devait écrire : « Il est vrai que (…) les bombardiers américains (à vrai dire la R.A.F.) étaient venus de leur propre chef jeter en une nuit force bombes sur le terrain. Mais cette opération hâtive, tout en démolissant les maisons de Royan, avait laissé presque intacts les ouvrages militaires. »

Le général Royce est limogé le 29 janvier par Eisenhower qui ne veut pas d'ennuis avec le gouvernement français mais il ne passe nullement en conseil de guerre et il est muté aux Etats-Unis à un important poste administratif.

Dans le journal de la section française de la 1st Tactical Air Force, à la date du 20 janvier, il est écrit que suite au départ du général Royce, ce dernier demande au général Bouscat, chef de l'armée de l'air à Paris, de donner son avis personnel sur le bombardement de Royan au général Spaatz et Bouscat répond : «qu'il est entièrement d'accord avec le général Royce» et va aller voir immédiatement Spaatz pour le lui dire.

Il est clair que Bouscat ne tient pas Royce pour responsable de la destruction de Royan et est persuadé que Larminat et Corniglion-Molinier ont bien donné leur accord pour bombarder la ville. Même s'il n'a pas assisté à la réunion de Cognac, Bouscat a eu un entretien avec Corniglion-Molinier et Royce deux jours plus tard à Paris où certainement ce point a dû être évoqué.

Curieusement le général Royce, considéré par les autorités militaires françaises comme le responsable de ce bombardement inutile et meurtrier, est fait commandeur de la Légion d'honneur par le gouvernement du général de Gaulle le 26 mai suivant et, très flatté, il en remercie chaleureusement le général Bouscat

Les jours suivants sont marqués par de nouveaux bombardements effectués par l’aviation française qui est bien loin de posséder les moyens des aviations U.S. et anglaises.

Le samedi 14 avril se déclenchent les opérations « Vénérable », sur la poche de Royan et « Médoc » sur la poche de Soulac. A l’aviation française vient se joindre la puissance américaine :

Samedi 14 avril 1945
Formation Largage de Objectifs.
338 Flying Fortress B-17 G 1054,9 tonnes de bombes 4 objectifs de la poche de Royan.
315 B-24D, H, J et L Liberator 1017,5 tonnes de bombes 12 objectifs Pte de la Coubre et Pte de Grave.
480 Flying Fortress B-17 G 1246 tonnes de bombes 15 objectifs Pte de la Coubre et Pte de Grave.
Dimanche 15 avril 1945
442 Flying Fortress B-17 G 1303 tonnes de bombes -
341 B-24 D, H, J et L Liberator 729,5 tonnes de bombes. -
492 Flying Fortress B-17 822,9 tonnes de bombes -

Il est important de savoir que, pour la première fois, les appareils de la 2 nd et 3 nd Air Divisions
emportent des bombes au napalm de 250 kilos

1278 appareils ont déversé 2855,4 tonnes de bombes

L’historien Howard Zinn déclarera:

“J’ai commencé alors à penser aux missions que j’avais faites. J’ai commencé à penser à la dernière de ces missions, le bombardement de Royan, en milieu du mois d’avril 1945. C’était trois semaines avant la fin de la guerre; tout le monde savait que la guerre était finie. Les Alliés avaient libéré la France et avaient pénétré assez loin en Allemagne. Pourquoi allions-nous bombarder une ville sur la côte atlantique en France ? Parce que, selon nos services de renseignements, il restait une poche de soldats allemands près de Royan. Ils ne faisaient rien, ils attendaient seulement la fin de la guerre. Mais nous devions les éliminer. Ainsi nous allions emporter un nouveau type de bombe dans nos soutes à bombes - pas les bombes habituelles de 250 kilos, mais 30 cylindres de cinquante kilos d’essence en gelée :c’était du napalm- la première utilisation du napalm dans la guerre en Europe.

Nous avons survolé Royan - 1200 gros bombardiers pour attaquer quelques milliers de soldats allemands - et nous avons lâché nos bombes, tuant les soldats, mais détruisant la ville de Royan. Nous ne savons pas combien de personnes sont mortes dans ce bombardement [47 soldats allemands et 442 civils français]. Je n’y ai même pas pensé alors. C’est la guerre moderne, on tue à distance, le tueur ne connaît pas la victime, ne la voit pas, ne l’entend pas. »

A noter que, pour certains, les bombes au napalm sont des bombes de 250 kilos alors que, pour Howard Zinn, il s’agit de cylindres de 50 kilos. Par ailleurs, Zinn semble confondre le nombre des victimes avec celui annoncé pour le bombardement du 5 janvier.

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