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ENTRETIEN AVEC GUY CHATAIGNE

LE 19 NOVEMBRE 1999 à MERIGNAC à 14 heures 30

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L'étudiante: « Comment êtes-vous entré dans la Résistance ? Par quels contacts ? »

« Je crois l'avoir dit mais peut être un peu rapidement. Je vous ai dit que de façon informelle, avant d'être dans un mouvement déterminé, que j'étais déjà dans la peau d'un jeune résistant, n'attendant d'ailleurs que l'occasion d'être organisé. Mais on n'entre pas dans la Résistance comme dans un cabaret. Il faut des garanties parce que dès 1941, tout le monde a pris la mesure de ce qu'était la répression: 50 fusillés le 21 octobre 1941, les prisons regorgeaient, la police était partout, des polices étaient constituées, les Français entrés comme agents de la Gestapo ne se comptaient plus. Donc, la Résistance était une affaire de confidentialité. Néanmoins, quand les gens se connaissent déjà dans les campagnes, ils savent quels sont leurs sentiments, quels sont leurs propos tenus en aparté, tenus la porte fermée, le soir quand on travaille au coin du feu. On savait bien ceux qui n'aimaient pas les « Boches » selon l'expression consacrée du moment. C'est sans surprise qu'on apprend par la suite que ces gens là sont organisés. J'ai été contacté par un garçon que je connaissais qui avait trois ou quatre ans de plus que moi, qui travaillait comme cordier pour les filets, les cordages, avec son père. C'étaient des militants communistes connus et l'action du moment, c'était la Résistance. Il m'a donc contacté en m'indiquant ce qu'était le Front National, où ses membres étaient implantés, de quelle façon ils étaient cloisonnés et le travail qu'ils avaient à faire -ce sont les tâches que je vous ai indiquées. Je n'ai pas eu la moindre réticence, j'étais même heureux de me retrouver sous ma véritable identité, comme résistant. Le malheur, c'est que c'est ce garçon qui fut le premier arrêté, en juillet 1942,-j'en ai parlé déjà. C'était un garçon honnête qui avait beaucoup de qualités: serviable, généreux. Mais il n'avait pas la trempe d'un héros. Si bien qu'il a fait montre d'une faiblesse suffisante pour que, dans les interrogatoires, il puisse livrer un nom, deux noms, je ne sais pas ; en tout cas un nombre suffisant de noms -et quelques fois un suffit -pour que dans ce chapelet les policiers arrivent à écrémer l'ensemble et ils ont ainsi pu écumer la totalité des résistants du groupe. Désastreux ! Ce ne fut pas malheureusement un cas isolé! De sorte que, il faut le dire honnêtement, nous n'avons pas été arrêtés par l'effet d'une dénonciation mais par l'effet d'une faiblesse. Le gars a été interné comme nous, déporté comme nous, il aurait du mourir comme nous, il est revenu comme nous et il a eu le temps de mourir depuis, depuis bien longtemps d'ailleurs. Certains l'ont tenu en quarantaine, suivant l'autre expression du terme pendant un certain temps au camp. Moi, je suis de ceux, je ne suis pas le seul, qui ont considéré qu'il fallait comprendre ce qu'avait pu être une faiblesse dans les conditions de 1'époque et dans les conditions de l'interrogatoire. .Pour ma part, je me félicite d'avoir renoué des relations fraternelles avec lui jusqu'à sa mort alors qu'il était commerçant à Bordeaux.»

En mars 1942, j'avais donc 18 ans et 2 mois, j'ai pris pied dans le mouvement du Front National de la Libération et de l'Indépendance Nationale qui était un groupement actif. On ne peut pas dissimuler que les éléments prépondérants étaient des militants communistes, syndicalistes qui étaient déjà rompus aux luttes, rompus même à certaines formes de clandestinité. Mais, on y rencontrait des gens qui n'avaient pas d'opinion particulière si ce n'est celle qu'il fallait tout mettre en oeuvre pour faire quelque chose et pour bouter un jour les Allemands hors de France. Là, les choses se sont davantage structurées. Des tâches précises m'ont été confiées, comme elles l'ont été à d'autres camarades de mon âge ou un peu plus vieux que je connaissais déjà pour certains d'entre eux et que je retrouvais là sans surprise. C' était des tâches simples, des tâches qui nous paraissaient insuffisantes, en tout cas pas assez gratifiantes. Nous voulions, de façon un peu inconsciente - l'inconscience de l'âge -en découdre. Cela paraissait possible. En fait, cela ne l'était pas. Donc des tâches plus raisonnables et sans doute plus utiles ont dû être menées à bien, celles qui ont consisté à ramasser des armes, collecter des armes quelles qu'elles soient. Alors, de quoi pouvait-il s'agir ? .D'armes de poing: revolvers ou pistolets, qui normalement auraient dû être rendus dans les mairies sur injonction des occupants, ou bien des fusils de chasse qui auraient dû également être rendus, la chasse étant bien entendu devenue interdite. C'est ainsi- que les uns et les autres, de jour mais plutôt de nuit, que nous avons par chemins verts et par champs, à travers bois parfois, collecté et regroupé des armes qui ont été confiées à des adultes dont certains en avaient eu le maniement durant la Première Guerre Mondiale et des caches ont été constituées. Notre souhait, c'était que ces armes fussent utilisées le plus rapidement possible. Mais ça, ça ne dépendait pas. uniquement de J'existence de ces armes. Autre activité fut également celle qui consistait à participer à la rédaction des tracts, à fournir des indications, à s'ingénier, à lancer des appels mobilisateurs pour démystifier et contrer les effets de la propagande allemande et de la propagande de Vichy, deux propagandes d'ailleurs parfaitement orchestrées et qui avaient hélas déjà porté leurs fruits dans une large part de la population et ensuite bien sûr, la distribution de ces tracts qui était confiée à des jeunes plus agiles, plus rapides. Le troisième volet a été aussi le renseignement, le renseignement dont nous ne percevions pas toujours l'utilité mais qui ne devait pourtant pas en manquer, qui consistait à dénombrer le nombre de convois militaires, le nombre de chars de combat stationnés ici ou là, d'évaluer les effectifs des troupes dans chaque commune, les mouvements si possible, par des contacts furtifs avec des soldats du rang, essayer de savoir par des questions innocentes où les troupes se rendaient lorsqu'elles partaient. Et toutes ces indications étaient centralisées et transmises par radio. Cette tâche était je crois celle d'un gendarme à la retraite et aussi d'un gendarme en activité. Voilà donc l'action qui se développait au sein du Front National à Jonzac, à considérer d'ailleurs, mais ça nous ne l'avons su que bien plus tard, que d'autres mouvements de Résistance fonctionnaient qui avaient des méthodes différentes, concouraient à la même action en privilégiant sans doute la collecte des renseignements pour Londres.

Donc, sans trop de difficultés et même très confiamment puisque nous n'avions pas eu trop de « pépins », les choses se sont poursuivies pour nous jusqu'au mois de juillet 1942. C'est en juillet 1942 qu'avec un jeune camarade qui allait être déporté lui aussi, et qui malheureusement allait mourir à Bergen-Belsen, nous avons défoncé la vitrine des locaux de la Légion des Volontaires Français, la L.V.F., et qui s'était fixée pour mission de recruter des jeunes Français pour aller combattre sur les fronts allemands, sur le front de l'est car depuis juin 1941, c'était la grosse préoccupation des nazis. A noter d'ailleurs, je ne l'ai pas dit mais c'est sous-entendu, que l’ouverture d'un second front en Russie malgré les revers que les Soviétiques ont éprouvés au début de l'action Barberousse, ont été pour nous un immense soulagement et le moyen d'entrevoir enfin une issue heureuse. Et nous n'avions pas tort. Donc jusqu'en juillet pas d'alerte; mais en juillet, un de nos camarades qui était organisé déjà avant nous, un peu plus âgé, a été arrêté; puis un autre, un de ses voisins d'ailleurs a également été arrêté. Ces deux camarades allaient prendre le même chemin que nous plus tard. Et le mois d'août s'est passé. Jonzac était devenu le point de mire de policiers français aussi bien que de la Gestapo et nous l'ignorions. Les choses étaient en gestation, la répression était en gestation. Et le 23 septembre 1942, nous avons été, à Jonzac seulement et dans la région, une vingtaine à être arrêtés et regroupés dans les locaux d'une école de jeunes filles, une école religieuse qui jouxtait la Kommandantur à Jonzac. J'avais été arrêté à 6 heures du matin dans une ferme où j'avais cru trouver un abri, une ferme trop près de Jonzac à 6 ou 7 kilomètres. Et la Feldgendarmerie n'a eu aucune peine à me joindre et à m'arrêter. Alors pour la petite histoire, mais ça je ne l'ai su également qu'après, c'est que j'étais recherché depuis la veille. Et les mêmes Feldgendarmes étaient allés chez ma sœur où j'avais logé longtemps, durant toute la guerre jusqu'à cette époque là, ma sœur institutrice dans ce hameau. Un voisin, ayant vu les Allemands me chercher, a pris son vélo et fait 50 ou 60 kilomètres pour essayer de me joindre en Dordogne chez mes parents où il me croyait et où se trouvait en tout cas ma sœur. Mais le lendemain, ces mêmes Allemands avaient rajusté leur tir, l'information est venue par quel truchement, je n'en sais rien, et ils m'ont bel et bien trouvé dans cette ferme et m'ont ramené en side-car sans que j'ai l'occasion de me munir de quoi que ce soit, sans brutalité d'ailleurs avec même une relative correction. Ils pouvaient se payer ce luxe, ils étaient certains de leur fait. Et là, j'ai retrouvé ce groupe de camarades dont je ne connaissais qu'un certain nombre, les plus jeunes. [silence] Et, pour anticiper, je dois dire que sur six camarades que je connaissais, avec lesquels j'étais en relation pour cette action de résistance, sur six camarades qui se trouvaient là. ..non sur onze [silence], les onze ont été déportés en totalité, six sont morts au camp, cinq sont revenus et sur ces cinq, depuis 15 ou l6 ans maintenant, je suis le seul rescapé puisque ceux qui ont été libérés, évidemment ont vu leur vie écourtée par ce qu'ils avaient enduré dans le camp. Si bien que dans la sphère immédiate, je me sens toujours le porte-parole de ces onze camarades. En fait, je le suis comme chacun de nous, d'un bien plus grand nombre encore.

L'étudiante: « Et vous, avez-vous subi des interrogatoires ? »
«Ce n'était plus nécessaire puisque tout le monde était connu. J'ai subi un interrogatoire d'identité mais qui n'appelait pas de mesures particulières. Donc, j'ai fait l'impasse des interrogatoires avec tortures sous toutes formes. »


Le chant des marais