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Emile Soulu

Avant-guerre La Résistance La Déportation

J'étais le douzième enfant de la famille qui en comptait quinze. J'étais issu d'une famille rurale. Les enfants aidaient au travail de la ferme jusqu'à douze ans. Lorsqu'il y avait du travail à la ferme, les enfants n'allaient pas à l'école. Mon père vendait sur les marchés les produits de la ferme: un veau, du maïs ou des haricots. Il ne savait pas compter, il n'avait d'ailleurs jamais utilisé un crayon, pourtant on ne le trompait pas. Il était né en 1864, je crois, et, en ce temps là, la campagne était très reculée.

D'ailleurs, nous mêmes en famille, nous ne parlions pas français. Ce n'est que lorsque je suis rentré à l'école que j'ai appris cette langue. Mon père ne parlait que le patois et, seule, ma mère connaissait le français.

A partir de douze ans, les aînés partaient de la maison pour faire leur apprentissage; ils étaient placés chez un patron. Seule, la mère et une de ses sœurs tenaient la ferme. Quant à moi, j'ai eu la chance d'étudier jusqu'à quatorze ans parce que j'étais dans les derniers de la fratrie et peut-être aussi étais-je le plus doué ? Ainsi, j'ai pu aller jusqu'au certificat d'études grâce, sans doute, aux aînés qui conseillèrent mes parents de me laisser poursuivre mes études. Après l'obtention du certificat d'études, je suis rentré dans un garage dans lequel, le matin, je devais donner l'essence aux voitures en pompant à la main. L'après-midi, je nettoyais les tâches d'huile et de graisse dans le garage. A quatorze ans, mon frère François qui travaillait depuis 1937 à l'usine de Mérignac comme mécanicien, me fit passer le concours pour rentrer à l'école d'aviation comme ajusteur-mécanicien. Il y avait 250 élèves qui préparaient ce concours pour 21 places. J'ai fini 19 ème. La plupart avait 15 ou 16 ans et ils avaient le brevet. Cependant, au garage, j'avais appris à limer. J'étais donc mieux préparé aux épreuves pratiques du concours. Je l'obtins grâce à cela et j'intégrai l'école d'apprentissage d'ajusteur-mécanicien qui se situait à Bacalan. Le cursus devait durer pendant trois ans. Mais, nous étions en 1938. J'avais cours une fois par semaine à Gustave Eiffel et j'assistais aussi au cours du soir au Palais Gallien. Je vivais avec François depuis 1938 avant que l'on se dispute, pour des broutilles sans doute. Alors, j'aie dû déménager pour m'installer sur la place de l'église de Bègles. J'habitais dans une maison bourgeoise. La propriétaire me louait, avec un autre gars, une petite chambre. Pour gagner un peu d 'argent, je faisais la vaisselle dans un restaurant de la rue de Bègles. Je travaillais dix heures par jour. Le samedi et le dimanche, je travaillais chez ma tante et mon oncle qui tenaient une boulangerie. Ce sont eux qui se portèrent caution pour la chambre que je louais. Ma tante n'avait pu avoir d'enfant, le couple me reçut donc comme si j'étais leur propre fils. Mon oncle m'apprît à faire la pâte et je leur rendais service. Enfin, j'apprenais le métier que j'exercerais un peu plus tard. J'avais réussi à cette époque à mettre de l'argent de côté, puisque je touchais 32 francs par mois et que ma pension ne m'en coûtait que 28. Cet argent me permit, plus tard, en 1942, d'acheter à mon beau-frère une faucheuse pour la vigne. Mais, en 1939, les autorités ont eu peur que les Allemands bombardent l'usine de Bacalan dans laquelle nous travaillions. En conséquence, pour nous protéger, les apprentis furent délocalisés rue Ferbos. Nous avions chacun un masque à gaz. J'avais 16 ans. Les Allemands entrèrent à Bordeaux le 10 juin 1940. La section fut démantelée et n'a jamais repris son activité.