Roger DOUMAIN

Discours prononcé, à Abzac, le 20 mars 2005
par Guy Chataîgné


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Le monde de la Déportation, perclus de deuils, est à nouveau douloureusement affecté par la disparition de l’un des siens.

L’affligeante nouvelle s’est répandue mardi dernier, atterrant ses proches, ses frères de misère, ses camarades et amis.

Roger Doumain, rescapé du camp de concentration nazi de Sachsenhausen, près de Berlin, - dont nous connaissions de longue date l’extrême précarité de l’état de santé – venait de s’éteindre. Le courage et la dignité avec lesquels, des années durant, il fit face à l’adversité de la maladie, n’ont pu conjurer plus longuement l’irrémédiable issue.

Roger Doumain est né le 15 mai 1922 en terre charentaise, à Suaux. Avant la guerre et au début des années 40 il vit dans la maison familiale, ici, à Abzac. Il exerce la profession de peintre pour laquelle il a suivi un consciencieux apprentissage. Mais, depuis juin 1940, l’Allemand est là, conquérant et méprisant, la France est pillée. C’est l’ordre nazi; ce sont les années de plomb. Roger n’est pas garçon à se ménager une relative quiétude dans cette nuit de l’occupation. Comme de nombreux jeunes – de ces jeunes qui furent l’honneur de la France quand tant d’adultes courbaient l’échine dans un attentisme peu glorieux – il réagit en patriote.

A la honte de la défaite et de la débâcle, à l’humiliation de l’occupation, il répond par son engagement dans le combat de la Résistance. En mars 1943, il fait le choix de rejoindre, par l’Espagne, les Forces Françaises Libres en Afrique du Nord. Depuis le 11 novembre 1942, la zone non occupée a été envahie, la frontière franco-espagnole est entièrement verrouillée par les occupants qu’exaspère le passage de plus en plus fréquent de patriotes. Avec deux camarades d’équipée, Roger se retrouve à Ille-sur-Têt, dans les Pyrénées- Orientales. Ils vont bientôt être rejoints par deux autres jeunes, également désireux de passer la barrière des Pyrénées; deux jeunes de Castelnau de Médoc, dont Guy Ducos, présent à cette sépulture, bien que relevant d’une récente et lourde opération. Aiguillé par un responsable locale de l’Armée Secrète, conscients des hauts risques de l’entreprise, le groupe va affronter des difficultés inattendues dans sa progression vers le Sud. En train, en bus, à pied dans les sentes de montagne, de rocher en rocher, bénéficiant d’heureuses complicités de la part d’inconnus, craignant d’être épiés, trompant les patrouilles ennemies. Au pied du Canigou, ils sont pris dans une épouvantable tempête de neige contre laquelle ils ne sont nullement équipés. La chute et la blessure de l’un d’eux, qui dévale dans une pente escarpée, les obligent à chercher refuge dans une de ces cahutes de pierre et de chaume qui servent d’abri aux bergers. C’est la stupeur. Ils se trouvent nez à nez avec des soldats allemands, en armes, qui lancent leurs chiens. L’un des jeunes parvient à s’échapper. Le rêve s’effondre. C’est le 16 avril 1943. Leur calvaire commence, dont les étapes vont s’appeler Prats de Mollo, Arles sur Tech où la Gestapo va les soumettre à la rigueur de ces interrogatoires dont elle a le secret; Amélie les Bains; la citadelle de Perpignan où ils rejoignent des dizaines de résistants arrêtés. Puis, menottés, ils sont acheminés par train au fort de Romainville, en région parisienne. Là, ils croupissent un temps, terrassés par la faim et l’épuisement, les premières syncopes. Régulièrement, des otages sont extraits de leur paillasse pour être fusillés dans les fossés du fort.

Les quatre sont encore ensemble, pour une semaine, au camp de Royallieu, à Compiègne, antichambre de l’Allemagne concentrationnaire.

Le 8 mai 1943, peuvent-ils imaginer que la guerre, avec son cortège de tragédies, va encore durer deux ans, jour pour jour, jusqu’à l’écrasement du monstre nazi ?

Ce jour-là, à raison de 100 à 110 par wagon à bestiaux cadenassé, prévu pour 8 chevaux en long ou 40 hommes, ils sont plus de 1.200 a être entassés dans le noir et l’innommable promiscuité d’un transport vers l’est. La soif, plus que la faim, l’angoissante crainte du lendemain, le délire, la folie dans laquelle certains dérivent, l’asphyxie, l’horrible puanteur de l’unique tinette qui déborde dès les premières heures. Au bout de deux jours et deux nuits interminables, le convoi s’immobilise. Oranienburg, à 30 km au nord de Berlin. L’arrivée au petit matin dans un camp immense, à l’imposante géométrie, triangle cerné de miradors et de barbelés électrifiés. Sachsenhausen, un camp, un camp dont l’existence leur était inconnue mais où ils apprendront plus tard que sur 200.000 détenus, 101.000 y sont morts.

La sauvagerie concentrationnaire agresse immédiatement les arrivants. Comme tous, Roger est brutalement dépouillé de ses vêtements et objets personnels. Il est tondu et rasé de toutes parts, sans ménagement. Il est affublé de la tenue rayée des bagnards, sur laquelle il va devoir coudre son numéro matricule qui se substitue désormais à son nom.

Car il n’est plus que le 66.454, numéro qu’il va lui falloir rapidement apprendre en allemand sous peine de recevoir des coups dont le premier peut-être fatal.

Dans l’aube glauque du camp, rampent plus que ne marchent, autour d’eux, des êtres rabougris, sans âge, d’une effrayante maigreur, au teint terreux, geignant et quémandant. Un autre monde, dont Roger et ses compagnons se refusent à admettre qu’il peut les concerner. Et, cependant, c’est la descente aux enfers, rapide et inexorable. La quarantaine, cette période de démence absolue où ils sont soumis à la brutalité et au sadisme d’internés de droit commun allemands que les ss ont sélectionnés pour mater ces Français de fraîche provenance. Par la violence, les brimades, les hurlements, les insultes, est instauré un climat de terreur qu’aggrave la méconnaissance de la langue.