ENTRETIEN AVEC René DAUBA

le 24 novembre 1999 à Caudéran à 10 heures.
Mémoire de Stéphanie Vignaud


Retour Page n°1 Page n°2 Page n°3 Page n°4 Page n°5 Page n°6 Page n°7



A Küstrin, il n'y avait pas de résistance. On a bien vu quelques velléités de résistance, des camarades qui ont essayé de confectionner - j’ai en mémoire cela - des camarades qui ont essayé de confectionner des vêtements avec des couvertures. Il y avait de tout parmi nous : il y avait des ouvriers, il y avait des fonctionnaires, des intellectuels, des hommes de droite, des hommes de gauche et il y avait des tailleurs. Que faisaient les tailleurs ? Ils avaient décidé à deux ou trois de confectionner des vêtements civils avec des couvertures. Puis ils ont été dénoncés, alors bastonnades, etc... Mais, même s'ils avaient réussi à s'évader, ils ne pouvaient pas aller loin. Quand on ne connaît pas la langue, quand on est habillé de «défroques » ou qu'on a la «boule à zéro » parce que je ne vous l'ai pas dit, mais à l'arrivée au camp, nous avons été tondus, c'est à dire que le 10 mai 1943, moi j'avais le «crâne à zéro » comme tous mes camarades d'ailleurs, et après nous étions régulièrement tondus, tondus, tondus, rasés. Où voulez-vous aller comme cela ? Dans un pays policé comme il l'était à ce comment là, policé et policier ? On ne pouvait pas aller bien loin. Et il y a d'autres camarades dont un qui vient de mourir, Sroka, Antoine 8roka qui était polonais, qui connaissait le polonais, l'allemand, le français et qui avait essayé de faire passer des lettres à sa famille en Pologne par l'intermédiaire d'un civil allemand, lequel civil s'est empressé d'aller donner les lettres aux S.S. Mon Antoine Sroka a été schlagué, puni et resté debout, puni debout au garde-à-vous pendant 24 heures. [rires] Je le retrouvais tous les ans en cure avec sa femme d'ailleurs et puis la mienne. Et puis sa femme m'a écrit il y deux-trois mois, il est décédé subitement, un gars costaud, Antoine Sroka. Donc, dans le kommando, pas de résistance. Un Remlinger qui a essayé de s'évader: il s'est caché derrière une péniche puisque nous recevions des péniches de bois. Il s'est fichu à l'eau en plein été et puis il s'est caché derrière une péniche. Au comptage du kommando pour rentrer dans le camp, il manque un Stuck. Un Stuck, c'est un morceau. Nous étions des matricules, pas des êtres, des Stucks, des morceaux. Il manque un Stuck. Et puis, à force de recherches, les chiens, les S.S, on le trouve derrière une péniche, la péniche où l'on avait déchargé le bois auparavant, il s'était caché là. Et puis il est rentré au camp comme il faut, avec le chien derrière lui et les S.S. Et il est resté... il est resté puni. Il y avait une punition qui consistait à vous infliger sur votre tenue rayée un disque rouge de telle sorte que si vous tentiez une nouvelle évasion, on vous tirait dedans. il y avait la cible.

A Buchenwald, on a travaillé comme de vrais bagnards, comme de vrais bagnards. Mais là, c'était pire encore parce que ce qui nous tuait à Buchenwald, c'était les appels. Je crois que je vous l'ai dit déjà. J'ai vu des appels à Buchenwald qui duraient jusqu'à une heure et demie, deux heures parce que compter 45 ou 50 000 bonhommes et que le compte soit juste à la centralisation, cela nécessite beaucoup de comptages. Nous étions 1.000, 800 ou 1.000 par baraques, 50 baraques, c'est vite compté si vous voulez parce qu'il y avait un S.S. par baraque mais il manquait toujours quelque chose. Il manquait toujours un morceau là, un morceau là, un morceau ailleurs. Alors, avant que le compte définitif soit réalisé! Mais ça, c'est ce qui faisait le plus mal parce que par des températures de 10°C ou de 20°C au-dessus de zéro, on supporte très bien deux heures debout même si on est fatigué par le travail. Mais enfin l'hiver, c'est pénible, c'est pénible, avec les mêmes en dessous de 0° C ! [silence ] »

L’étudiante : "Après votre déportation, avez-vous adhéré tout de suite à une amicale ou une fédération ?"

R.D : « Oui, oui. Tout à fait. J’ai adhéré de suite à la F.N.D.I.R.P comme beaucoup de camarades.»

L'étudiante: «Donc, vous fait partie de la F.N.D.I.R.P et de l'Amicale de Sachsenhausen ?»

R.D: «De l'Amicale de Sachsenhausen et par la suite, de l'Amicale de Buchenwald. Celle de Flossenbürg, on n'a fait que passer à FlossenbÜrg, on est resté 3-4 jours. C'est une amicale qui est vivante aussi. Il y a peut être moins d'adhérents qu'à l'Amicale de Buchenwald. L'Amicale de Buchenwald est bien organisée, bien structurée, toujours sur l'aile gauche, moins au point de vue politique

J’ai fait partie de la F.N.D.I.R.P. Beaucoup de camarades ont fait partie de la F.N.D.I.R.P. Pourquoi ? Parce que ça a été celle qui s’est fait connaître le plus rapidement, qui a contacté les déportés qu'elle pouvait contacter, qu'elle a connu. Et puis, il s'est passé en 1948 une chose un petit peu particulière, c'est qu'on a voulu faire voter à la F.N.D.I.R.P des motions contre les Etats Unis qui avaient des problèmes avec un pays, je pense que c'est Cuba peut-être, qui.. avait des problèmes avec un pays communiste. Et à partir de ce moment là, on a voulu nous faire voter des motions. Moi et beaucoup de camarades étions contre le fait de voter des motions contre les Américains parce qu'ils s'ingéraient dans les affaires de Cuba - alors que les Russes s'ingéraient dans les affaires Budapest, Prague et tout ça... Là, on ne votait pas. A partir de ce moment là, j'ai quitté la F.N.D.I.R.P et je n'y suis jamais revenu. Je suis à la F.N.D.I.R non pas parce que je suis un plus grand résistant qu'un autre; il y a de très bons camarades qui sont de très bons résistants à la F.N.D.I.R.P, il y en a qui n'ont rien fait, c'est vrai. Mais on ne regarde pas ça. J'ai quitté donc la F.N.D.I.R.P à ce moment là.

L’Amicale de Buchenwald, j 'y suis venu assez tardivement. Pourquoi ? Vous faites partie de l'Amicale d'un camp (Sachsenhausen), la fédération, les Combattants Volontaires de la Résistance, les Camarades de Combat, les Médailliers Militaires, la Légion d'Honneur... autant d’associations que... Depuis que j'ai perdu ma femme, je ne vais plus nulle part. Et les Légionnaires décorés au péril de leur vie, j 'y vais. Pourquoi ? Parce que c‘est un camarade de résistance et un camarade de déportation qui habite là et qui en est le Président, qui a insisté pour que j'y aille. C'est René JOLY. Et ce sont les deux seules associations... L’Amicale de Sachsenhausen, je n'y vais plus parce que depuis que j'ai perdu ma femme, j'ai coupé les ponts. Je commence à me réveiller, mais c'est dur !»

L'étudiante: "Pourquoi avez-vous accepté de me recevoir puisque vous essayez de vous détacher un petit peu...»

R.D : « Parce que cela me faisait plaisir. C'est rare de trouver des jeunes... Moi, mes enfants, je leur ai parlé de ce que j'avais fait mais sans insistance. Et puis, ils ne me questionnent pas. De toute façon, ils savent ce que j'ai fait. Et puis, je pense que j'ai une petite fille de 15-16 ans qui est en seconde et qui sera peut être tentée de me questionner davantage. Elle sera tentée comme vous de connaître mon passé. D'ailleurs, elle me dit toujours: «il faudra que tu mettes noir sur blanc ce que tu as fait pendant la guerre, pourquoi tu as été arrêté, etc...» C’est très bien. Mais vous savez quand nous sommes rentrés, il y a des gens qui sont venus nous questionner. Moi, j'ai un député des Landes qui était le censeur d'une école normale de jeunes filles de Mont-de-Marsan, M. David, qui est venu. Je me relevais du typhus. Ce n'est qu'à partir de ce moment là d'ailleurs que j'ai pu parler ou tenir des conversations, il est venu me questionner, me demander ce que j'avais vu, ce que j'avais fait, etc... Même à cette époque là, ce que l'on disait, je pense que les gens avaient peine à croire ce qu'on leur racontait. Quand vous voyez des êtres humains abattre d'autres êtres humains, quand vous voyez des monceaux de cadavres partir au crématoire et parmi ces monceaux de cadavres, des camarades que vous avez connus, ça fait « mal aux tripes » vous savez. Alors, on meurt de maladie, on meurt de typhus, on meurt de dysenterie, on meurt accidentellement mais mourir de deux balles dans la tête, ça moi... Et je connais le comportement de Guy Ducos et certains camarades qui sont pour la paix, moi je suis pour la paix mais le pardon jamais! Non ! Jamais je ne pardonnerai à un peuple comme ça qui est un peuple intelligent, vous avez des gens intelligents en Allemagne comme partout. Mais, en arriver où ils en sont arrivés... parce que c’est le peuple allemand qui a amené Hitler au pouvoir en 1933, parce qu'il faut se souvenir que Hitler est arrivé au pouvoir démocratiquement et que 92 ou 93 % des Allemands ont voté pour lui et la grosse finance; tous les industriels de la Ruhr étaient pour lui. Ils avaient une raison: parce qu'ils allaient fabriquer des avions, des chars, des cuirassiers, des contre-torpilleurs et des sous-marins. Mais le peuple a suivi, et le peuple... les S.S. : des bourreaux. Alors ça. Je suis pour la paix, c'est vrai. On ne peut pas dire que je suis pour la guerre quand on a connu ce que j’ai connu. Et puis, je ne vous l'ai pas dit, mais mon père avait fait 1914-1918 et c'était quelque chose dont il nous parlait souvent et qui revenait souvent, ce qui a fait que peut être je hais peut être les Allemands encore plus parce que mon père les a haïs, les a haïs avant.

Je voulais vous voir parce que c'est curieux, c'est rare de trouver des jeunes qui s'intéressent à cela. Vous savez, pendant quelques temps, j'ai fait, avec d'autres camarades, des exposés dans les lycées et les collèges. Et je l'ai fait pendant quelques années et j'ai abandonné. Pourquoi ? Parce que de par ma fonction, je n'avais plus assez de temps.