ENTRETIEN AVEC René DAUBA

le 24 novembre 1999 à Caudéran à 10 heures.
Mémoire de Stéphanie Vignaud


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Buchenwald, c'était le vrai bagne. Buchenwald a été très dur parce que, je vous l'ai dit au début, parce que nous devions être 45-50000, on n'a jamais su exactement. Comme les armées alliées avançaient d'un côté et l'année russe de l'autre (Américains, Français, Américains, Anglais arrivaient par l'ouest, les Russes par l'est) que faisaient les S.S. ? Ils vidaient les camps, on faisait marcher les bonhommes et c'est au cours de ces marches qu'on exterminait les gens. Dans le convoi qui nous a amené de Küstrin à Briesen, et de Briesen à Buchenwald, je n'ai pas vu tellement de cadavres. C'est par la suite que c'est arrivé. J'ai vu des morts. Pendant deux ans que je suis resté au Kommando de Küstrin, il y a des camarades qui sont décédés, il y en a qui sont décédés accidentellement, d'autres de dysenterie ou de typhus. Et ce n'est qu'à partir de janvier 1945 que j’ai vu des monceaux de cadavres. Parce qu'à Buchenwald, tous les matins il y avait l'appel. Janvier, février 1945, c'était une période où il a fait excessivement froid. Il y avait dans chaque baraque environ 800 ou 1 000 bonhommes qu'il fallait compter tous les matins et qu'il fallait compter tous les soirs et les morts comme les vivants, il fallait qu'ils soient là. Quelques fois un camarade qui était sur le point de mourir, il fallait qu'il soit là. Et après ces morts, on les déposait en bout de baraque. J'ai vu des monceaux de cadavres, des monceaux ce cadavres squelettiques qu'on déposait et là, il y avait des kommandos spéciaux qui, avec des charrettes, les amenaient au four crématoire. Alors ça, moi, c'est ce qui m'a frappé parce que ce crématoire, on voyait ces flammes sortir de ces cheminées, ces flammes. C'était atroce. On se demandait si on allait se sortir de là. Et j’ai vu des centaines de morts, peut être des milliers, je n'en sais rien. Ca, ça a été atroce parce que jusqu'alors, on avait des camarades qui ont été pendus, on avait des camarades qui ont été battus, qui sont morts de maladie, des accidents du travail. C'était la dysenterie, c'était le typhus qui régnaient en masse. Et les cadavres bien sûr, étaient nombreux.

Buchenwald a été libéré le Il avril 1945. Mais, par un effet de sadisme, les S.S. nous ont fait évacuer le camp en grande partie trois jours avant. Ils ont réussi à trouver une percée au sud ouest de Buchenwald, c'est à dire dans la direction d'Erfurt, Weimar. On a embarqué à Weimar dans des wagons tombereaux. Nous n'étions plus quarante là déjà depuis... Si nous avions fait le voyage de Compiègne à Sachsenhausen à 50 à 60 bonhommes, le quota était 80 ou 100 personnes dans des tombereaux ouverts et nous sommes restés 8 jours là. Nous avions reçu une ration de pain et un saucisson à Buchenwald. 48 heures après, il n'y avait plus rien! Nous sommes restés là; alors là, les morts, on les entassait dans un coin et les survivants, au bout de 8 jours, on les a fait débarquer, débarquer du wagon. Et nous sommes partis à pied puisque les voies de chemin de fer étaient coupées à ce moment là, l’Allemagne était occupée en grande partie par les armées russes et alliées de l'autre côté. Et, on nous a fait partir à pied sur le camp de Flossenbürg, Flossenbürg qui est un camp qui a été comme tous les camps, un camp dur aussi se trouvait au sud est de l'Allemagnë près de la frontière tchécoslovaque. Flossenbürg était un camp atroce. Après la marche de huit jours, nous y sommes arrivés et c'était un camp sur une colline. Ils étaient tous placés sur une colline et exposés au nord pour que nous ayons le plus froid possible. Et Flossenbürg, quand nous y sommes arrivés, nous avons été accueillis à coups de matraques et nous avons passé notre première nuit dans des carlingues d'avions. Flossenbürg était un camp où on fabriquait dans ces cellules de Messerschmitts, de Focke-Wulfs, des cellules. On a couché dans des cellules d'avions et le lendemain, on nous a affecté à un block. Nous ne sommes restés que trois jours à Flossenbürg. Je crois qu'on est arrivé le 18 ou le 19 avril 1945... peut être le 18. Nous sommes restés trois jours parce que le troisième jour, on nous a fait repartir. Tout le camp a été vidé à ce moment là. Il n'y a que les invalides qui sont restés. Le camp a été évacué pour nous faire marcher encore. Au cours de cette marche, tous ceux qui étaient derrière, c'était une balle dans la tête. C'était l'hécatombe. Et nous sommes repartis durant trois jours. On a dû repartir le 19 avril, pour être libérés le 23 avril après trois jours de marche. Alors là, une particularité du camp de Flossenbürg ; quand nous sommes partis, on n’a pas eu de pain, on a eu une gamelle de céréales: soit de l'orge, soit de l'avoine, soit du blé, ce qu'ils avaient sous la main. Chaque homme a eu une gamelle de céréales pour manger. On a grignoté ça ...je ne sais pas... peut-être que le soir, il n'y avait plus rien. Et pendant que nous marchions, parce qu’on faisait des marches de 20 à 25 kilomètres par jour, on mangeait des salsifis. C'était l’époque où en Allemagne, il y a des salsifis sur le bord des routes. On se baissait pour ramasser des salsifis.
On a été libéré le 23 avril 1945. Dans quelles conditions ? Depuis plusieurs jours, on entendait la canonnade mais nous n'avions pas d'information. On savait que les Alliés, droite ou gauche, Russes ou Alliés, n'étaient pas loin mais on n'avait pas d'information si ce n'est qu'à Flossenbürg, le lendemain du jour où nous sommes arrivés, nous avons vu des avions alliés américains qui ont survolé le camp. On s'est empressé, enfin certains camarades se sont empressés, de mettre des bouts de chiffon blanc sur les baraques, ce qui ne servait à rien parce que de toute façon, le camp a été évacué assez rapidement. Les Alliés savaient ce qui se passait dans les camps et connaissaient les camps et les kommandos. Le 22 avril, au deuxième jour de marche, j'ai perdu mon meilleur camarade, Paul Cassou. Pris par le typhus, on a essayé avec un autre camarade de Bordeaux qui vit encore, Jacques Grébol, de le soutenir mais on est arrivé en fin de colonne et les S.S. nous ont fait lâcher prise. il a fallu le laisser et il a été abattu sur place, la veille du jour où on a été libéré. Ca, ça a été un choc. [silence] C'est un choc ça. Je m'en tirais moi, je m'en tirais, je m'en sortais et puis si j'arrivais à Mont-de-Marsan, il fallait arriver avec cette nouvelle. [silence] Et donc le 22 avril, Paul Cassou a été abattu et le 23 avril, je crois que c'était un lundi matin, dans la matinée. entre 9 heures set 10 heures. on a été libéré. Une colonne de chasse américaine est arrivée, des éléments de la IIIème armée du Général Patton. On les a aperçus parce que nous étions sur une route qui faisait peut être deux ou trois kilomètres et on voyait un mouchard qui survolait notre colonne. On ne savait pas si c'était des Allemands ou si c'était des Alliés. Par bonheur, c'était des Alliés. Ils sont arrivés et à partir de ce moment là, les S.S. se sont enfuis et sont partis se réfugier dans les bois en attendant que les Alliés arrivent. Et quand les Alliés sont arrivés bien sûr, ils ont «canardé» la colonne blindée qui passait. Les balles ricochaient sur les chars et les voitures blindées. Mais nous qui étions partis de l’autre côté, nous étions partis sur la gauche de la route, les Allemands et les 8.8 étaient partis sur la droite, nous n'avons pas été touchés. Nous étions donc libres. [ silence ] Nous sommes libérés le 23 avril et livrés à nous-mêmes, livrés à nous mêmes jusqu'au début du mois de mai. Nous avons un petit peu été isolés parce que personne ne s'occupait de nous. Ce que nous avons fait à ce moment là, nous avons cherché à nous ravitailler auprès des paysans du village où nous étions libérés: Wetterfeld et Posin. Et là, nous cherchions de la volaille et des oeufs et les Russes, ils cherchaient des bœufs, etc... des grosses pièces. Nous voulions manger parce que nous avions faim. On avait le tort de vouloir manger parce qu'on a été plus prudent, nous, de manger légèrement. On a eu cette chance d'être libérés et d'être à côté d'un camp qui était un ancien camp allemand, camp d'aviation, où les armées américaines ont cantonné de suite. Les Américains qui étaient gavés de tout jetaient des boîtes de conserve, des boîtes de fromage, des cigarettes et nous allions tourner autour de ce camp là pour récupérer du ravitaillement. Pendant huit ou dix jours, nous avons mangé un petit peu à notre faim, légèrement mais à notre faim. Quelques jours après, nous sommes regroupés sur Amberg ou Bamberg. Ce sont des villes assez importantes dans le sud de l’Allemagne puisque c'est à Amberg ou à Bamberg que le 8 mai nous avons appris par des soldats français que la guerre était finie et qu'auparavant le « fada » d'Hitler s'était suicidé. Bon. D'abord les Allemands, je ne les appelle jamais les Allemands, je les appelle toujours les « Boches ». On apprit ce jour là, le 8 mai, que la guerre était terminée, que les Alliés avaient fait signer l'armistice et que Hitler s'était suicidé. Nous, nous étions encore là bas. Regroupés à Amberg ou Bamberg, nous avons été pris en charge à ce moment là par des éléments de la Croix Rouge Internationale et des éléments de l’armée américaine parce que nous étions dans le secteur américain. Nous étions déjà logés dans des bâtiments, des écoles ou des annexes d'hôpitaux. On couchait dans des lits avec des draps. On mangeait des soupes au lait avec des pâtes, c’était quelque chose qui faisait plaisir après deux ans de restriction, c’était le grand plaisir. Mais on n'était pas encore rendu en France. Je pense qu'on a été cantonné à Amberg ou Bamberg pendant une quinzaine de jours et puis regroupé sur Nuremberg où là devait se former le convoi qui devait nous rapatrier. Mais il y avait beaucoup de «bouteillons». Des «bouteillons», ce sont de fausses nouvelles. Parce qu'on nous disait: «On va vous rapatrier. Il y aura des camions qui vont venir vous chercher. On vous amènera à un aéroport. Vous rentrerez. Vous serez rapatriés par En fait de rapatriement. ..nous avons été regroupés à Nuremberg et nous sommes partis en train sur la France. Je suis arrivé chez moi le 21 mai 1945. Mais avant d'arriver chez moi, il fallait traverser la France, passer par un centre de rapatriement où on vous questionnait: d'identité, savoir ce que vous aviez fait, savoir pourquoi vous aviez été arrêté, pourquoi vous étiez parti en camp de concentration parce que parmi nous, il y avait des résistants, des politiques mais il y avait des collaborateurs aussi. Donc, il fallait questionner, il fallait faire des interrogatoires pour essayer de dénicher les collaborateurs. Moi, je suis passé par Charleville : interrogatoire à Charleville, pas de problème; visite médicale, c'est un commandant- major qui m'a examiné, il m'a gardé assez longtemps, fait faire des radios. il m’a dit: « Mon petit, on ne peut pas te garder ici. Tu habites où ? » J'habite Mont-de-Marsan » " il faudrait que tu rentres le plus vite possible chez toi.". Je savais ce que j'avais, c'était le typhus. Je me traînais depuis quelques jours. il me dit: «Rentre vite chez toi».