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ENTRETIEN AVEC GUY CHATAIGNE

LE 19 NOVEMBRE 1999 à MERIGNAC à 14 heures 30

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L’étudiante:«Après votre retour en Dordogne, comment s'est passée votre réadaptation à la vie familiale et puis après à la vie civile ? »

«A la vie familiale, la réadaptation n'a posé de problème pour moi puisqu'il s'agissait de retrouver le célibataire de 21 ans que j’étais. Je n’avais à l’époque que mon père, ma mère, ma sœur, mon frère qui est rentré après moi blessé, gravement blessé d'ailleurs, de la région berlinoise où il était prisonnier de guerre. Donc les liens d'affection qui unissaient tout ce monde ne nécessitaient pas de réadaptation. La seule réadaptation qui m'était nécessaire c'était ma réadaptation physique. De sorte que, après un assez bref séjour d'un mois chez mes parents, je me suis refait une certaine santé. Sur les conseils de médecins, j'ai été admis dans une maison de convalescence à Tonnay-Charente en Charente Maritime où j'ai retrouvé là entre autres catégories: prisonniers de guerre, gens du Service du Travail Obligatoire, certains déportés dont certains avaient été déportés avec moi. Là, nous sommes restés deux longs mois et puis ce groupe allait ensuite être transféré dans une autre maison de convalescence, un immense pavillon en Vendée. Et, mon état s'améliorant, je me suis déjà, depuis ce lieu de convalescence, soucié de mon avenir et en février 1946, j'ai eu l'opportunité de préparer un concours d'entrée dans les services extérieurs du Ministère du Travail. J'ai donc potassé le droit administratif, le droit social, le droit du travail et puis je suis allé passer mon examen, mon concours à Paris, Place Fontenoy au Ministère. A l'époque, le Ministre était Ambroise Croizard, ministre communiste, ancien Secrétaire Général de la Fédération des Syndicats de l'Industrie. Il fut un peu père pour moi. J'étais le plus jeune de la bande. J'ai ensuite passé un examen pratique dans les ruines du Havre où les Américains et surtout les Américaines, les Afat, embarquaient par milliers vers l'Amérique par bateau, dans une ville totalement en ruines. Et puis je me suis retrouvé fonctionnaire du Ministère du Travail. On m'a gentiment accordé d'aller dans le poste que je demandais à La Rochelle et mon travail fut celui de contrôleur social des travailleurs déplacés. Par travailleurs déplacés, il faut entendre tous les travailleurs dont le domicile était ailleurs et parfois éloignés et qui se retrouvaient regroupés dans des cantonnements dans des zones sinistrées telles que La Rochelle-La Palice, Royan, les villes bombardées, l'Ile d'Oléron, 1'Ile de Ré où ils vivaient généralement de manière collective. Cela supposait donc des besoins à satisfaire en équipements collectifs: couchages, cuisines, installations sanitaires, besoins individuels, brodequins, vestes, casques, lunettes. C' était les services généraux du Ministère du Travail qui géraient ces situations par truchement des contrôleurs sociaux qui, comme moi, établissaient la nature des besoin~ et s'occupaient des acheminements de matériaux. Cela a été ma première affectation. Et puis ensuite, mon travail s'est spécialisé autour de la main d’œuvre nord-africaine, dont la venue en France de l'immigration répondait à l'époque à un besoin économique. A l'époque ce n'était pas des familles qui venaient mais des travailleurs isolés même s'ils étaient chefs de famille algériens et marocains surtout. Et j'ai été affecté à Bordeaux. J'avais un bureau Quai des Chartrons et je m'occupais là aussi des problèmes des besoins collectifs et individuels lorsqu'ils vivaient groupés dans des cantonnements et d'une manière plus générale de tous les besoins sociaux : donc prises en charge, sécurité sociale, suivis des accidents du travail, suivis de santé, paiements des allocations familiales an Algérie, démarches auprès des employeurs, contrôles des installations d'hébergement. ..tout ça faisant l'objet de règlements. Cet emploi s'est ensuite poursuivi à Marseille dans les années 1947-1948, 1949-1950 et 1951 (j'ai passé 5 ans là) où je me trouvais là en charge d'une communauté beaucoup plus importante. Marseille, c'est le port où transitaient traditionnellement tous les travailleurs d'Afrique du Nord, notamment les Algériens parce que les Marocains transitaient plutôt par Bordeaux et traditionnellement aussi, c'était une ville à forte implantation musulmane. Donc, j'ai eu- nous étions d'ailleurs plusieurs -beaucoup de travail d'autant que mon travail avait pour aire d'activité l'ensemble de la Provence: le Var, les Bouches du Rhône bien sûr, les Basses-Alpes, le Vaucluse, les Alpes Maritimes. Avec une petite moto ou par train, il me fallait aller à la recherche des besoins des gens dans toutes ces régions. Ce fut un travail assez exaltant parce que d'une part il donnait un sens à mes aspirations sociales et il concourait par certains côtés à l' amélioration de la condition ouvrière à laquelle j' aspirais aussi.

Les choses se sont ainsi poursuivies jusqu'à ce que je me marie à Marseille en février 1949 et jusqu'à ce que ma fille aînée y naisse en juin 1951. Mais là, la venue d'un enfant a posé un très réel problème de logement si bien qu'il a fallu que j'envisage le retour dans cette région où je pensais pouvoir disposer plus aisément d'un logement pour un jeune couple et un enfant. Je me suis retrouvé à Bordeaux en août 1951, ma fille n' avait que deux mois et demi ou trois mois. Et à Bordeaux, j' ai trouvé une affectation géographique définitive même si mes fonctions allaient évoluer au fil du temps. Pendant un assez grand nombre d'années encore, je me suis occupé de la main d’œuvre nord-africaine parce que Bordeaux était devenue aussi une ville d'accueil et d'emplois importante pour les Nord-Africains et que de nombreux problèmes restaient à résoudre. Ils ne furent d'ailleurs jamais résolus dans leur totalité. Est venue la Guerre d' Algérie qui a compliqué mes tâches en raison de la forte politisation des milieux algériens, des rivalités existant entre eux qui avaient souvent un caractère meurtrier. Beaucoup d'entre eux que j'ai connus sont morts de part ou d'autre: F.L.N., M.T.L.D. Bon, j'étais au milieu de tout ça, pas sans risque d'ailleurs puisque durant toute cette période, cinq de mes collègues en France -nous étions une douzaine -sont morts sous les coups. Et puis finalement, après la Guerre d'Algérie, les Algériens étant devenus Algériens, un nouveau schéma a été envisagé si bien que les fonctions dévolues au contrôle social de la main d’œuvre nord-africaine dont j'avais la charge ont été réparties dans des ministères classiques et des assistances sociales.

J'ai alors fait le tour des services et je peux dire que j'ai pratiquement connu, à ma grande satisfaction, tous les services extérieurs du Travail et de l'Emploi puisque je me suis occupé ensuite de la réadaptation fonctionnelle et professionnelle des handicapés, j' ai été visiteur de prison pour m'occuper de la réadaptation professionnelle des détenus avant leur libération, je suis revenu à la formation professionnelle lorsqu'il s'est agit de rémunérer les stagiaires qui étaient de plus en plus nombreux avec la création et l'existence de trois centre de formation professionnelle ici en Gironde avec ceux du Bâtiment d'abord, puis de la Métallurgie à Bègles et celui des activités tertiaires à Pessac. Il y a eu ensuite la formation permanente c'est à dire qu' en dehors des trois centres de l'A.F.P.A. que je vous ai cités qui étaient sous l'égide du Ministère du Travail, il y a eu une foule de centres, d'institutions, de groupements assurant de la formation continue qui se sont constitués, développés, multipliés. Il y avait des règlements particuliers pour chaque catégorie. C'est un assez gros travail et là j'avais la charge d'un service qui occupait quelques trente personnes jusqu'au jour où ce travail de gestionnaire a commencé à être suffisant pour moi. Et, sans trop de difficultés, j'ai été affecté sur ma demande dans une section de l'Inspection du Travail pour l'application des codes du Travail. J'étais à l'époque Contrôleur du Travail c'est à dire un agent de cadre B qui a les mêmes fonctions que l'Inspecteur du Travail à cela près, c'est qu'il ne peut pas signer des procès-verbaux, il peut les rédiger mais c'est son inspecteur qui sera responsable du texte, de l'acte. J'ai été assez rapidement promu Chef de Section avec les mêmes fonctions, puis à l'occasion d'une visite à Bordeaux du Ministre du Travail de l' époque Boulin qui a été maire de Libourne et qui est mort assez tragiquement: une histoire politique on l'a trouvé noyé dans 30 cm d'eau ...un règlement de comptes. En tout cas c'était un ministre très compétent, il avait le souci de son département puisqu'il était à Libourne et il m'a présenté, au regard de mon Direction Régional et de mon Directeur Départemental, pour que je sois admis au stage de l'Institut National du Travail à Paris. J'y suis allé peu de temps après et j'en suis revenu Inspecteur du Travail. C'était la fin 1979 et j'ai eu tout de suite la charge d'une importante section du travail: la première section, non pas que le mot «première » désigne un ordre de valeur, mais il y avait six sections de l'Inspection du Travail en Gironde. Chacune avait un numéro et j'avais la première qui comptait de très grosses entreprises comme Ford à Blanquefort, comme la poudrerie de St Médard, comme la Société Européenne de Propulsion (la S.E.P.), comme la S.N.I.A.S (l'Aérospatiale) et également des boutiques de moindre importance. Il y avait donc de quoi s'occuper. L'Inspection du Travail est un travail très prégnant et très prenant. Il y avait deux contrôleurs avec moi, un secrétariat et j' ai poursuivi ce travail jusqu'à mon départ en retraite le 4 octobre 1983 je crois. Et voilà ce qu'a été ma carrière professionnelle. Je ne me plains pas parce qu'elle m'a procuré beaucoup de satisfaction même si j'ai travaillé plus souvent qu'à mon tour ; la nuit, le dimanche et qu'il m'est arrivé de terminer des rapports des dimanches après-midi à mon bureau, n'ayant pas la possibilité de le faire chez moi parce qu'il y avait une documentation sur place. Voilà. L'appréciation ne mange pas de pain, et je ne m'en suis pas enorgueilli ~ mais l'appréciation qui m'a été remise en fin de carrière s'est voulue élogieuse. »

L'étudiant:«Avez-vous fait partie de l' Amicale de « Sachso » dès sa création ? »

« Je n'en sais rien. Je n'en sais rien parce que finalement, de manière précise du moins, je ne sais plus trop quand l'Amicale de « Sachso » s'est créée mais je crois qu'elle s'est créée avant que je la connaisse. J'ai été à La Rochelle d'abord, puis à Marseille de 1947 à 1951. Durant cette période et depuis 1946, j'étais membre de la Fédération Nationale des Déportés, Internés et Résistants patriotes, la F.N.D.I.R.P. J'étais également membre à Marseille bien que je ne me suis .pas beaucoup impliqué dans les activités de l'association des Bouches du Rhône. Le principal motif est qu'il n'y avait là aucun des camarades que j'avais connus en déportation. Arrivant en 1951 à Bordeaux, j'ai tout de suite pris l'attache de la F.N.D.I.R.P. de Bordeaux qui avait son siège jusqu'à il y a trois mois dans un cabinet miteux de la rue de Marengo, dans le quartier St Michel. Et là, on ne m'a pas laissé souffler. J'ai tout de suite été investi de responsabilités: j'ai été membre du comité départemental, puis du bureau départemental et du secrétariat. Et puis ces tâches se sont affinées puisque assez tôt, à la fin des années 1950, j'ai été membre du Conseil d'Administration qui s'appelait à l'époque Bureau national. Il y avait là, disons, les membres les plus éminents de la représentation nationale. J'y suis resté 7-8 ans. Il faut dire qu'en ma qualité de membre du Bureau National, j'étais souvent convié à aller porter la « bonne parole » dans tous les départements de « France et de Navarre ». Je n'étais pas souvent chez moi. Mais lorsque j'ai eu des obligations à l'Inspection du Travail, manifestement je ne pouvais plus mener deux tâches de front, si bien que j'ai conservé tous mes mandats à la F.N.D.I.R.P. sauf celui du Bureau national. Honnêtement, j'ai fait plus de travail au sein de la F.N.D.I.R.P. qu'au sein de l'Amicale, non pas par choix mais parce que le volume de travail à consentir de part et d'autres est tout à fait inégal. La fédération, c'est une grosse machine. Une amicale, c'est beaucoup plus confidentiel, plus sentimental. L' Amicale est irremplaçable car au plan de la mémoire du camp, il n'y avait et il n'y a que nous qui pouvons mener à bien ce travail et nous le poursuivons encore. Pour répondre à votre question, je crois que je n'ai connu l'Amicale (si j'avais été préparé à cette question, j' aurais eu les éléments pour vous répondre mais vous recouperez avec ce que Ducos vous en dira puisque sur ces dates là il a tout) j'ai eu pris pied à l' Amicale de «Sachso » à l ' occasion de son premier Congrès National que l'Amicale, encore embryonnaire à l'époque, a tenu à Arcachon. Là, c'était lancé, l'Amicale prenait corps mais il faut dire qu' aussi bien dans les amicales de camps que dans les fédérations, beaucoup de camarades, pris par leurs activités professionnelles et familiales, ne sont pas organisés de suite. Ils sont assez longtemps restés inconnus. Les choses ont progressé doucement, au fil du temps. Sans doute, les décès se sont inscrits de manière négative mais la venue s'est produite jusqu'à ces toutes dernières années. De nombreux camarades sont venus vers nous par souci, par nécessité de reprendre contact avec leurs vieux copains même s'ils avaient cru penser, pour certains d'entre eux, pouvoir tourner la page. Finalement, personne ne l' a pu.

A l'Amicale de la Gironde, un bureau s'est constitué. J'ai été rapidement membre de ce bureau. J'ai eu souvent à animer en tant que président de séance, délégué par force par mes camarades lors de nos réunions. Jusqu'au jour où nous avons perdu notre premier président, le camarade Bème qui avait déjà un certain âge et où il a fallu désigner un nouveau président. C'est moi qui ai pressenti Guy Ducos que je connaissais bien. Il a accepté, il est toujours président. Et depuis, je crois qu'un bon travail a été fait dont le point d'orgue a sans doute été la tenue à Bordeaux, en septembre 1990, de ce magnifique congrès national sur lequel je vais vous remettre une plaquette. »

L'étudiante«Vous avez gardé contact tout au long de ces années avec Guy Ducos ? »

Ce n'était pas des contacts d' Amicale, à l'époque, mais d'amitié. Il faut voir les choses telles qu'elles étaient. Ducos, je l'ai vu ...les doigts d'une main amputée suffisent pour compter les fois où nous nous sommes rencontrés durant l'époque où j'étais à Marseille. Je venais durant les vacances avec femme et enfants. J'allais en Dordogne chez mes parents. J'avais d'autres impératifs que d'aller voir Guy Ducos qui, de surcroît, était à Cazaux à l'époque -il vous dira ça -ou à Biscarosse, dans des coins là, et même au Pic du Midi. On s' est rencontré quelques fois mais de rares fois. Il a vraiment fallu que je revienne à Bordeaux en 1951 pour que des contacts s'établissent ou se rétablissent normalement entre nous.

Mais, depuis, pour précéder votre question, mon concours à l'Amicale a toujours été constant et égal. Avec Piat, Dupau, Ducos, Dumont qui est un camarade du Bouscat qui a fait les deux camps: Buchenwald et « Sachso », nous allons, en tant que membres du conseil d'administration, à Paris chaque année au printemps et nous participons fidèlement à tous les congrès nationaux. Guy Ducos et moi pour la Gironde, sommes tous les deux membres du Bureau national. Nous y allons. J'y vais plus souvent que lui car il se trouve à la Martinique au moment de cette réunion du Bureau qui se tient en début d'année. ».

L'étudiante:«Voilà. Merci beaucoup. »


Le chant des marais