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ENTRETIEN AVEC GUY CHATAIGNE

LE 19 NOVEMBRE 1999 à MERIGNAC à 14 heures 30

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D'abord nous avons traversé Jonzac, encadrés par des soldats en armes, embarqué dans un train pour La Rochelle où le soir même nous retrouvions, plus précisément à la prison de Lafont qui était un ancien asile psychiatrique transformé en prison par les Allemands. C'était donc le 23 septembre 1942, époque de grande répression puisque ce qui avait été opéré à Jonzac, l'avait été dans l'ensemble du département. A la prison, nous rencontrions des gens de Saintes, de La Rochelle, de Rochefort, de Royan, de St Jean d'Angély, tout le département. Mais, nous allions le voir plus tard, ces mêmes actions, ces mêmes rafles policières ont eu lieu pratiquement dans l’ensemble des départements du littoral atlantique entre la Loire Atlantique et les Pyrénées atlantiques. De plus, il faut se rappeler que c'est à cette période, deux jours avant notre arrestation, 70 patriotes ont été fusillés à Souge, victimes de la seconde grande fusillade effectuée à Souge, la première remontant au 24 octobre 1941. [ silence] A la prison de Lafont, certes nous étions privés de liberté, nous étions entassés à cinq ou six. dans des cellules minuscules, c'était le régime de la prison, mais cela n' a pas sensiblement altéré notre moral parce que, bon, nous étions entre Français, nous n'avions que des rapports très furtifs avec nos gardiens, uniquement à l'heure des repas, une visite impromptue, contrôles des cellules et la promenade dans la cour. J'ajoute que durant les premiers jours, nous avons pu avoir un contact avec nos familles, contrôlé bien sûr, une visite contrôlée de près. Ma mère est venue, ma mère à l'époque était beaucoup plus jeune que je ne le suis maintenant. Et, j'ai eu le loisir, je savais qu'il y aurait visite le lendemain ou le surlendemain, j'ai eu le loisir de glisser, en embrassant ma mère, sous ses vêtements, dans sa nuque -c'était risqué -un papier qui était très important pour la sécurité de ma sœur parce que j'avais dissimulé tout récemment, à titre provisoire, des armes sous un tas de bois dans le chais de ma sœur. Donc, si ces armes avaient été trouvées, la sécurité de ma sœur était gravement en danger. Bon. Ce message a pu partir, je l'ai su plus tard, beaucoup plus tard. Les contacts ont cessé. Je crois que nous avons eu l'occasion d'écrire une ou deux fois, courrier banal, suivant un modèle figé et sans originalité. Puis est venu le début novembre, tout début novembre, la prison s'est vidée et dans des wagons cellulaires, nous avons été transférés à Compiègne, destination que nous ignorions. Nous l'avons su, pour avoir jeté un coup d’œil au travers des interstices des wagons, des cellules -je ne sais plus. Nous avons situé la traversée dans Paris, donc nous nous dirigions vers le nord-est. Et quelques deux heures plus tard, nous étions à Compiègne, un camp immense, le camp de Royallieu, qui était initialement, enfin jusque là, un camp de prisonniers de guerre français. Nous étions là, 200, 1 500, 2 000 peut-être et nous apprîmes que certains des détenus qui se trouvaient là en tenue civile l'étaient depuis quelques mois pour certains d'entre eux .d'autres l'étaient depuis peu de temps, c'était d'ailleurs le plus grand nombre. Mais, là encore, tout comme en prison, il n'y a pas eu de grande atteinte au moral parce que nous étions toujours en France, nous étions toujours en milieu français, nous avions même le loisir de lire quelques journaux français même s'ils étaient manifestement acquis à la cause de la collaboration. Nous avions quelques loisirs. La pression et la présence allemande n'étaient pas immédiates, ni constantes. Bon certes, nous étions entre des barbelés, nous étions dominés par des miradors et la discipline régnait. Mais, je le répète, le moral restait inattaqué et je dirais même que pour certains d'entre nous, il s'est fortifié parce que nous nous sommes trouvés là au contact de gens de catégories distinctes, différentes et pour ma part, j' ai été fortement impressionné par la stature, par l'énergie et par l'expérience de cadres syndicaux, de militants politiques, d'anciens combattants des Brigades Internationales en Espagne qui avaient à l'évidence joué un rôle beaucoup plus important que nous dans la Résistance où ils avaient indéniablement des responsabilités qu'ils taisaient. C'est à Compiègne que nous avons appris le débarquement des forces américaines en Afrique du Nord, immédiatement suivi de l'invasion de la zone dite libre par les troupes allemandes, le Il novembre 1942. Nous avons eu connaissance du sabordage de la flotte de Toulon dans les jours qui ont suivi et nous nous efforcions de suivre le déroulement de la Bataille de Stalingrad qui avait déjà commencé durant l'été 1942.. Nous étions maintenant à l'orée de I 'hiver 1942-1943 et les combats faisaient rage et à l'évidence, ils ne prenaient pas un tour favorable pour les Allemands. Et ça était aussi un motif de satisfaction et un motif de galvaniser l'espoir chez nous. [silence] Les choses se sont prolongées aussi jusqu'au 22 janvier.. Je venais d'avoir 19 ans 4 jours plus tôt. Et nous avons été regroupés, un troupeau de quelques 1200 hommes et par groupes de 100-200, nous sortions du camp étroitement encadrés par des soldats en armes qui n'étaient pas des S.S et ainsi convoyés jusqu'à la gare de Compiègne où 10, 12, 15 wagons peut être, tous les wagons de marchandises en bois se trouvaient là. Nous fûmes embarqués sans ménagement à raison de 110-120 par wagon, des wagons prévus, ainsi que l'indication en faisait foi, pour 8 chevaux, 40 hommes. C'était le taux d'occupation de ces wagons en temps de guerre. Nous étions 110 environ. Et lorsque le train s'est ébranlé, nous ignorions que dans les trois derniers wagons se trouvaient 240 femmes -240 femmes dont nous avons appris par la suite qu'elles avaient été déportées à Auschwitz, avant d'être transférées après une terrible mortalité, pour partie au camp de Ravensbrück. Mais ces notions, nous les ignorions. Le convoi s'est ébranlé et là naturellement, les interrogations ont commencé à se poser à nous quant à notre destination et notre destin, d'autant que des difficultés nouvelles apparaissaient: il gelait, il faisait donc froid dans les wagons malgré la chaleur animale, [silence] il faisait noir, l'air manquait et la soif commença rapidement à se déclarer tout au long du voyage -la soif dont on ne dira jamais assez qu'elle est le tourment infiniment plus cruel que la faim et le froid. Dans mon wagon, au bout de deux jours et deux nuits, donc un peu avant le terme du voyage, des gens déliraient, des gens perdaient le contrôle d'eux-mêmes, s'injuriaient, se battaient, il faut dire que nous vivions dans une promiscuité innommable, il y a longtemps que la tinette était pleine et débordait pour se répandre dans tout le wagon, la faim empirait toujours..Puis, le convoi s'est immobilisé. Un nom que j'ai pu apercevoir au petit matin du 25 janvier écrit en lettres gothiques sur le bâtiment de la gare "Oranienburg". "Oranienburg", cela ne me disait pas grand chose. Là, les portes s'ouvrirent et nous nous sommes trouvés en présence de S.S pour la première fois, des S.S en armes avec la tête de mort sur le revers de leur veste, c'était les S.S spécialement formés à la garde des camps.

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