Bordeaux sous les bombes.


le 17 mai 1943




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1er témoignage. Retour 2ème témoignage.

Le tragique bombardement anglais de mai 1943 sur Bacalan.
Un récit émouvant du Docteur Jacques Fauqué
Extrait du bulletin R.U. n°11 - mars 1990.


Au début de 1943, la "Liberté éclairant le monde", (chef-d'œuvre de Bartoldi, magnifique statue de bronze, édifiée en 1887 par la municipalité de Bordeaux, Place Picard, en véritable phare du quartier Nord de Bordeaux, à l'occasion du lancement de la ligne de paquebot "Bordeaux - New-York"), fut détruite et fondue pour en livrer le bronze à l'occupant. Elle ne fut jamais reconstruite ou remplacée. Cela était possible, cela était souhaitable.

17 mai 1943 à Bordeaux-Bacalan.

12h34: Bacalan, (Bacalan qui veut dire morue en Portugais) quartier populaire, coeur vital de la ville et du port où ateliers, usines, commerces, petites rues bordées d'échoppes où maisons modestes ou bourgeoises se côtoient; un quartier animé avec ses écoles, ses nombreux enfants qui s'amusent et où la joie de vivre éclate malgré la dureté des temps, la guerre, ses privations de toutes sortes, les tickets de rationnement, un mari, un père, un ami au loin: prisonnier dans les camps en Allemagne, un déporté du travail...

On est descendu la nuit précédente dans les abris suite à une alerte aérienne, une fois de plus... et tous en sont las. Tout le monde est à table.

Bacalan: au loin un petit point noir surgit dans un ciel sans nuages; il se rapproche. La DCA commence à tirer. C'est un avion de reconnaissance. Il trace un cercle de fumée sur la base sous-marine (objectif prioritaire des Alliés au cours de la deuxième guerre mondiale). Il revient, en trace un autre, puis s'en va. Personne ne comprend. On se remet à table.

Les forteresses volantes.

Brusquement, un grondement lointain qui se rapproche, énorme, terrifiant. Les habitants du quartier se lèvent de table et sortent dans la rue, ou se penchent aux fenêtres, paralysés par une vision dantesque.

Dans un vacarme assourdissant, un grand nombre de "forteresses volantes", sinistres oiseaux noirs obscurcissent le ciel et au-dessus des cercles de fumigènes lâchent en deux minutes, par leurs trappes ouvertes deux mille tonnes de bombes à forte pénétration, dont certaines pèsent plus de quatre tonnes. Mais l'anneau de fumée s'est déplacé sous l'effet d'un vent de Nord Ouest et, sans doute, d'une erreur de décollage dans l'horaire de l'opération. La base sous-marine n'est que peu endommagée. Aucun sous-marin ne sera touché. Le cantonnement voisin des troupes italiennes sera, lui, détruit. Les chiffres (officiels) 300 à 500 morts: effectifs des sous-marins italiens (Toricelli, Michel-Ange, Véronèze).

Chez nous, à Bacalan, de Ravezies au cours du Médoc et au boulevard Brandebourg. C'est l'apocalypse. Les maisons s'écroulent dans un nuage de fumée et de feu. Enfants, parents, grands-parents sont ensevelis sous des tonnes de pierre, tués sur le coup ou agonisant lentement, asphyxiés sous les décombres par les conduites de fer rompues, brûlés vifs, noyés dans les caves; spectacles effroyables, cauchemar de fin du monde: 700 morts (saura-t-on jamais ?), un milliers de blessés dont la moitié mourut.

En deux minutes, un quartier de Bordeaux est mort, anéanti. Cauchemar perpétuel des nuits à venir pour les rescapés.

Instant terrifiant.

Je me souviendrai toujours de cet instant terrifiant où, tout enfant, je courus dans le silence insoutenable qui suivit, soudain, inhabituel car les oiseaux des jardins s'étaient tus et je cherchais désespérément ceux que j'aimais.

Dans mon jardin, verger de mon enfance, c'était le temps des cerises: "le joli mois de mai". C'est alors que j'aperçus Hélène. Elle était étendue dans l'herbe, les bras écartés, sans mouvement. Je l'appelai, elle semblait dormir.

Du tablier de sa belle robe blanche, qu'elle avait mis le matin pour aller à l'école, s'échappaient les cerises qu'elle venait de cueillir, autour de petits points rouges... Je la touchai. Sa tête bascula. Elle me regardai fixement de ses yeux bleus. Sur son front, une petite tache rouge.

Elle dormait de son dernier sommeil, tuée par la folie des hommes. Elle venait d'avoir huit ans. C'est la guerre!

L'âme d'un quartier anéantie.

La suite: les corps innombrables retirés des décombres furent emmenés vers des fosses communes. Combien ?

Deux minutes d'apocalypse avaient anéanti l'âme d'un quartier de Bordeaux le 17 mai 1943.

20 ans passèrent avant qu'une reconstruction très partielle redonne vie à ce quartier.

Parfois, je me prends à m'arrêter rue Blanqui, cours Édouard Vaillant, à marcher le long des rues Joséphine ou Maurice à la recherche des images passées, celles de mon enfance.

Rien ne vient répondre à mes questions. Rien de mes souvenirs lointains ne peut réapparaître. Je suis venu me semble-t-il d'un autre monde, comme un voyageur à la recherche d'un témoignage du bonheur de l'enfance, sur une plaque de rue, sur un monument où l'on pourrait lire, un nom, un prénom d'un être cher... Aucun écho de ce temps ne peut me parvenir et les êtres que je rencontre me semblent étrangers et leurs mémoires perdues. Cela vaut-il mieux ainsi ?

La propagande Allemande, par la voix de Jean Hérold Paqui, se servira des victimes civiles pour amplifier son action.

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