Biographie.
Résistants honorés.


Gemin Pierre Les mouvements de jeunesse.

Cahier de la Résistance n°15
Hommage aux fusillés de la région bordelaise.


Natif de Caudrot, il passe son bac au lycée de la Rèole, puis au lycée Montesquieu de Bordeaux avant d'entrer au lycée Saint-Louis à Paris où il prépare l'Ecole de l'Air.

Le 11 novembre 1940 s'organise une manifestation patriotique à l'Arc de Triomphe. Un tract a été diffusé s'adressant plus particulièrement aux étudiants:


Tu iras honorer le soldat inconnu à 17h30. Le 11 novembre 1918 fut le jour d'une grande victoire. Le 11 novembre 1940 sera le signal d'une plus grande encore. Tous les étudiants sont solidaires pour que vive la France. (Recopie ces lignes et diffuse les).

Pierre est parmi les étudiants regroupés par écoles ou facultés qui débouchent vers les Champs-Élysées. Les Allemands tirent, il y a au moins un mort et des blessés, plus de cent arrestations.

Ayant participé à cette manifestation, Pierre est chassé du lycée Saint-Louis avec d'autres étudiants. Les facultés seront fermées durant cinq semaines. Il revient à Caudrot, puis essaie de rejoindre l'Angleterre en passant par l'Espagne. Malheureusement, le Consulat d'Angleterre à Bilbao refuse de délivrer un visa à ce trop jeune volontaire.

Revenu en Caudrot, Pierre rejoint le réseau Chador animé par des officiers du deuxième bureau. Il assurera de nombreuses missions de renseignements, plus particulièrement sur la côte atlantique. Les fortifications que les Allemands construisent intéressent les alliés. Il se chargera encore de convoyer des officiers Anglais en route vers l'Espagne. Il passait souvent la ligne de démarcation dans cette région du Langonnais qu'il connaissait bien.

Sur dénonciation, il sera arrêté à Bordeaux, le 9 août 1941 et incarcéré au Fort du Hâ dans le quartier cellulaire. Sol cimenté, pas d'ouverture, le mitard. Un lit. Pierre est enfermé, enchaîné à ce lit.

Pendant 11 mois il sera "interrogé" par les policiers du commissaire Poinsot. 11 mois de mutisme. Il sera alors traduit devant un tribunal militaire Allemand et
condamné à mort.

Pierre Gemin sera fusillé le 13 juillet 1942, à Souge.

Lettres et poèmes écrits les fers aux pieds.


Avant que ma poitrine brune
Ne donne l'hospitalité
Aux douze balles redoutées,
Je veux, sans ambition aucune,
Ecrire aussi mon testament.
Croyez bien que cette manière
De voir venir l'heure dernière
N'est pas un plagiat simplement.
Si François Villon était né
Avec le retard nécessaire
Pour ne point connaître notre ère.
C'eut été lui qui m'eût plagié.
De ma vie et de ma personne
A la France je fais le don
Pour que les droits de succession
De peine aux héritiers ne donne
Comme les balles auront percé
Mon pauvre habit et ma chemise.

Je crains fort que l'hiver, la bise
Puisse aisément les traverser,
Jusque dans le four crématoire.
Pour sauvegarder ma pudeur,
Ils partageront mon malheur
En seuls témoins de mes déboires.
Tout ce qu'en moi il y a de bon,
La pitié, la reconnaissance,
La grandeur d'un amour immense.
A ma mère j'en fais le don.
Qu'elle soit l'unique héritière
De tous mes meilleurs sentiments.
A elle je pense en mourant.
Que de son fils elle soit fière.
"Il faut jouer avec la mort
Pour que la vie ne soit pas grise."
A mon père c'est ma devise
Que je lègue pour qu'il soit fort.



Dans mes bons moments, j'espère que ma demande sera acceptée. Dans mes mauvais moments, il me semble qu'elle sera refusée, alors je pense à vous, uniquement à vous. A vous qui vous êtes dévoués, sacrifiés, qui avez sacrifié toute votre vie pour me donner une solide instruction.

En ce moment je suis dans une mauvaise heure et je n'ai plus le courage de réagir. Depuis onze mois que toutes mes espérances sont systématiquement déçues je n'ai plus la force d'espérer. La mort ne me fait pas peur, ce n'est pas mon sort qui me fait si triste, si las.

J'ai l'impression que ce sera un grand choc et puis le néant, je dormirai, je ne souffrirai plus, je n'aurai plus faim, je n'aurai plus le coeur assoiffé de liberté, et au moins je ne serai plus dans mon infâme cellule derrière mes barreaux toujours affreusement triste.

Donc vous voyez, papa et maman chérie, que ce n'est pas moi le plus à plaindre. Ce qui me fait trembler et me rend infiniment malheureux, c'est la pensée que bientôt vous apprendrez ma condamnation. Quelle horrible nouvelle. La mort me serait mille fois plus douce si, à tout moment, je ne m'imaginais que je serais bientôt pour vous l'objet de la pire souffrance qu'on puisse imposer à des êtres humains. A cause de moi vous allez être pendant des années torturés moralement. Votre vie si laborieuse, vous aurait donné droit à une vieillesse heureuse, tranquille au milieu de l'affection constante de mon frère et moi pour qui vous avez tout fait.

Nous aurions pu être si heureux tous les quatre. Le sort en a décidé autrement. Au fond quand on y réfléchit bien, la vie n'est qu'une continuelle souffrance, puisqu'il faut mourir un jour; en mourant jeune, on n'a pas le temps de souffrir beaucoup. Je vous répète encore, la mort ne me fait pas peur, et de ce côté-là, je ne suis pas à plaindre; je vous supplie, je te supplie maman chérie, d'être courageuse, d'accepter la fatalité. Je sais que ta vie va être brisée, mais je te demande, au nom de l'amour immense que j'ai pour toi, au nom de celui que tu me portes, de ne pas sombrer dans un noir désespoir et de ne plus trouver goût à rien.

Soyez forts et courageux pour moi. Reportez sur mon frère tout l'amour que vous me vouez. Essayez de m'oublier en vous disant:

"Notre Pierrot est mort pour une noble et grande cause. Sa mort n'a pas été inutile, il le savait en mourant. Il nous avait demandé d'accepter la fatalité avec résignation et pensait que nous ferions encore pour lui ce dernier sacrifice, la mort ainsi lui aura été plus supportable."

Poème dédié à mon village:"A Caudrot"


C'est à toi mon Caudrot que je dédie ces vers,
Alors que loin de toi me retiennent mes fers.
Quand j'étais trop heureux, sans bien m'en rendre compte,
Que de fois t'ai-je dit, maintenant j'en ai honte:
"Caudrot tu es un trou, un bled où l'on s'ennuie",
Et fort de ces raisons, vers la ville j'ai fui.
Je veux avec ces vers, puisque le sort m'accable.
Faire ni plus ni moins qu'une amende honorable.
C'est bien dans le malheur qu'on sent les vrais amis,
Et toi, dans mon exil, tu me tiens compagnie;
Intimement mêlé aux personnes absentes,
Tu es dans ma pensée une entité vivante.
J'ai cru pendant un temps aux plaisirs citadins,

Ces brillantes chimères ont bâti mon destin,
Mais aucun souvenir parmi tant d'aventures
Ne peut me procurer une joie douce ou pure..
Lorsque, dans mon cachot, soulageant mon malheur,
Une aimable pensée vient embaumer mon coeur,
C'est à toi, vieux Caudrot, que j'en suis redevable.
Et je vois bien alors qu'un vrai bonheur durable
Peut très bien se trouver dans la tranquillité.
Ce qui me plaît en toi, c'est ta sérénité,
La quiétude, le calme, où l'esprit se repose,
Comme le fait l'abeille au milieu d'une rose.

Au fort du Hâ, 1942